Villains of All Nations (Pirates de tous les pays)
Sur les eaux tumultueuses du négatif
Une étude très bien documentée sur ce que furent réellement les pirates
et ce qu'ils représentèrent. L'ouvrage se concentre principalement sur
le premier quart du dix-huitième siècle et la région des Caraïbes ainsi
que sur la côte ouest de l'Afrique. Sont exposés tout aussi bien la vie à
bord des navires que le contexte historique et les enjeux politiques;
éléments de compréhension essentiels si l'on veut aller au-delà du
folklore et des clichés.
Ainsi, on apprendra que les principales cibles de ces affreux pirates
furent les bateaux négriers appartenant aux grands marchands d'esclaves
basés à Londres. Honorables hommes d'affaire qui émargeaient souvent au
Parlement anglais et usèrent de toute leur influence pour organiser la
répression contre ces trouble-fêtes.
Ces irresponsables, en effet, non
contents de s'emparer des bateaux, libéraient les esclaves entravés au
fond des cales, les traitant en égaux.
Quand on sait l'importance que prit l'esclavage en ces moments
fondateurs du capitalisme moderne, on comprend la colère de ces honnêtes
commerçants de l’establishment, frustrés dans leurs espoirs de gras
bénéfices tirés du trafique d'êtres humains.
Tout sera fait alors pour donner des pirates la plus épouvantable image
possible : violeurs, assassins, ennemis de la religion, déments sans foi
ni patrie. D'autant plus que ces incontrôlables recevaient souvent un
très inquiétant soutien populaire, les bougres ! Vraiment inexcusables.
De plus, ils avaient de scandaleuses habitudes de partage équitable du
butin et de démocratie directe, élisant et destituant à leur guise leurs
officiers : les monstres !
Comment concilier cela avec le profit dont tout le monde sait qu'il nait de l'asservissement ?
Un mot concernant l'édition française dont l'on regrettera l'illustration médiocre, pas vraiment à la hauteur de l'ouvrage.
Un extrait de la belle préface de Julius Van Daal :
"Nul parfum de "nihilisme" avant la lettre dans les dilapidations
effrénées et l'intrépidité vertigineuse qu'ont décrites des chroniqueurs
offusqués par cette fast life, ce vivre-vite jugé absurde, voire
démoniaque. Bien au contraire : de cette fulgurance anarchique, de cette
imprévoyance délibérée naissaient une volonté commune, une cohésion
rebelle. Et ce goût du renversement se révélait propice à
l'accomplissement des plus beaux exploits au détriment des ennemis de la
liberté. Cette quête d'une vraie vie sur les eaux tumultueuses du
négatif constituait une mise à nu tragique du système marchand, une
réponse railleuse à son extension planétaire, une sagesse en mouvement.
Dans le secteur hautement stratégique de l'offensive capitaliste
qu'était alors le transport maritime, les pirates critiquaient en actes
les aberrations du principe de rentabilité - et les âmes d'épiciers, les
esprits policiers s'en trouvèrent à jamais désolés."
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