vendredi 28 mars 2025

CARNET DE CITATIONS : Société N°43
 

Le développement économique, avec ses lois en apparence autonomes, sa finalité abstraite, ses contradictions incomprises, ses effets imprévisibles, était vécu par les hommes, depuis qu'il constitue un monde spécifique, comme un destin étranger, leur distribuant alternativement prospérité et misère, et le plus souvent celle-ci. Encore ce destin tenait-il sa substance de leur propre vie, de leur travail, de leur espoir et de leur souffrance, même si, de façon incompréhensible, il retournait contre eux leur propre effort, pour les écraser et les asservir. Avec la technique, le caractère autonome du développement a cessé d'être une apparence, c'est un mouvement qui n'a aucun rapport avec la vie, qui ne lui demande rien et qui ne lui apporte rien, rien qui lui ressemble en tout cas, qui soit conforme à son essence et à ses vœux. ( Michel Henry)


La domination produit les hommes dont elle a besoin, c’est-à-dire qui aient besoin d’elle ; et toutes les prétendues commodités de la vie moderne, qui en font la gêne perpétuelle, s’expliquent assez par cette formule que l’économie flatte la faiblesse de l’homme pour faire de l’homme faible son consommateur, son obligé ; son marché captif qui ne peut plus se passer d’elle : une fois les ressorts de sa nature humaine détendus ou faussés, il est incapable de désirer autre chose que les appareils qui représentent et sont à la place des facultés dont il a été privé. La fourniture lui en devient un droit imprescriptible et inaliénable : elles sont toutes ensemble la qualité de son être, dont la privation l’anéantirait sans aucun doute. Il n’y a aucune faculté qui puisse se conserver si elle ne s’exerce et toutes se tiennent et sont tellement subordonnées qu’on ne peut en limiter aucune sans que les autres ne s’en ressentent : l’homme affaibli ne peut pas imaginer autrement son existence pour la raison que ce sont désormais les images qu’on lui projette en livret d’accompagnement qui lui tiennent lieu d’imagination de la vie possible. (Baudouin de Bodinat)


Pour le dire autrement, tant que nous n’admettrons pas que le monde moderne nous dépasse largement, qu’il est massivement hors de notre contrôle, que plus rien, ou presque, n’est à la mesure de l’être humain, que la liberté dont on nous rebat les oreilles est une chimère, qu’à moins d’un démantèlement de l’organisation sociale planétaire dominante, d’un retour à des sociétés à échelle humaine – condition, mais pas garantie, de l’existence de réelles démocraties –, aucun des problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés ne saura être résolu, et nous parlerons essentiellement pour ne rien dire. (Nicolas Casaux)


La presse officielle est une arme de distraction massive : elle ne doit jamais parler des vrais problèmes des gens ni de ceux de notre époque, mais doit savoir raconter certaines histoires, comme on le fait avec les enfants pour les endormir. Par conséquent, d’un côté elle censure, cache et manipule la réalité, de l’autre elle est obligé d’en créer une autre et de parler de cette autre réalité pour distraire et hypnotiser les gens. Si quelqu'un, dans un siècle ou deux, lisait les journaux d'aujourd'hui, connaissant la véritable histoire de ce qui se passe et les risques et désastres actuels qui se préparent, il faudrait qu'il conclue que la presse du début du XXIe siècle a été complètement schizophrène, aveugle, séparé de la réalité. En réalité, elle n’est ni aveugle ni schizophrène. Elle est juste payée pour faire ça. (Gianfranco Sanguinetti)


C'est quand la luxuriance de la vie s'appauvrit que montrent le bout du nez, enhardis, les faiseurs de plans, et les techniciens à épures ; après quoi vient le moment où il ne reste plus qu'à appauvrir la vie davantage encore, pour en désencombrer la planification. (Julien Gracq)


C’est comme si, en l’espace de dix ans, nous étions revenus à l’âge de pierre. Des types humains que l’on croyait disparus depuis des siècles - Le derviche tourneur, le chef de brigands, le grand inquisiteur, sont soudain réapparus, non pas derrière les murs d’un asile de fous mais à la tête des États. (George Orwell)

 

La révolution n’est donc pas seulement rendue nécessaire parce qu’elle est le seul moyen de renverser la classe dominante, elle l’est également parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l’autre de balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles. (Marx)