dimanche 29 juin 2014

CARNET DE CITATIONS Société 5



« Quand la souffrance, la tristesse et l'asservissement se font chaque jour plus aigus, et le désastre social plus éclatant, les explications que de commis foutriquets condescendent à donner n'amusent guère ... » (Bosc)

« Un vagabond résolu passait sur la route entre deux gendarmes ... Qui sait où il les conduisait ! ... » (Descaves)

« Que je me tournasse de ce côté ou de l'autre, la solitude était la même. Le monde extérieur avait repris son apparence de pur décor. » (Breton)

« Quelques-uns commencent à voir quand il n'y a plus rien à voir. (...) Il est difficile de donner de l'entendement à qui n'a pas la volonté d'en avoir, et encore plus de donner la volonté à qui n'a point d'entendement. Et d'autant qu'ils sont sourds pour ouïr, ils n'ouvrent jamais les yeux pour voir.
Cependant, il se trouve des gens qui fomentent cette insensibilité, parce que leur bien-être consiste à faire que les autres ne soient rien. » (Gracian)

« Que fais-tu ? Sais-tu bien à qui tu as affaire ? Ne vois-tu pas que tu te déclares contre la Fausseté, c'est-à-dire contre tout le monde, et qu'on va te prendre pour un fou à défendre l'autre, la Vérité ? Les enfants et les fous ont déjà voulu venger cette dernière en la faisant sortir de leur bouche mais trop faibles contre tant d'adversaires si puissants, ils n'ont rien pu faire : la Vérité, toute belle qu'elle soit, est depuis restée abandonnée. Et lentement, on l'a poussée et repoussée au loin, si bien qu'aujourd'hui, elle n'ose paraître et nul ne sait où elle a pu trouver refuge. » (Gracian)

« (...) Ce temps pour lequel l'Histoire, la vie, la science ont été réduites à l'économie et à la technique ; ce temps qui a cru pouvoir expliquer le génie comme une sorte de folie, mais qui ne possède plus un seul grand artiste ni un seul grand philosophe, ce temps si peu original alors qu'il recherche tant l'originalité. (Weininger)

« Diagnostic et critique de l'individualisme comme maladie moderne de la culture, exaltation de l'individuel comme fondement ultime de la culture authentique : à la suite de Nietzsche, la fin et le début du siècle oscillent entre ces deux appréciations d'un phénomène ressenti comme ambivalent.
-- Or la forme de vie qui semble aller de pair avec cet individualisme est le sentiment de la solitude. Solitude orgueilleusement assumée, solitude douloureusement subie. » (Le Rider)

« La solitude irrémédiable de l'individu amène à douter de l'aptitude du langage comme outil de communication. Ce scepticisme fondamental constitue un des aspects de la "crise du langage" si souvent évoquée comme un phénomène caractéristique de la crise de la modernité autour de 1900. » (Le Rider)

« N'est-ce pas sous le signe de la folie que se place dès le départ L'Utopie ? Si le train du monde est déraison, le recours à la folie devient sagesse ou "morosophie". » (Abensour)

« Si le corps social est à ce point docile et soumis, c'est parce qu'il a été dépossédé de tout moyen lui permettant d'exercer une maîtrise et de déployer une puissance propre. Or cette dépossession des conditions de l'exercice d'une puissance propre est l'effet même des dispositifs en tant qu'ils produisent de la subjectivité : en tant qu'ils engendrent des processus de subjectivation, les dispositifs produisent des êtres qui sont sujets non pas seulement dans la mesure où ils sont assujettis, mais d'abord dans la mesure où ils sont des subjectivités abstraites, séparées, coupées des lieux, des milieux, des moyens et des conditions sans lesquels ils ne peuvent plus déployer aucune puissance d'agir propre, ni exercer aucune maîtrise active de leur propre vie. » (Fischbach)

samedi 28 juin 2014

Champ d'application




Il semblerait donc que certains milieux, chargés de la formation des petits soldats de la logique marchande, aient découvert depuis quelque temps l’existence des ouvrages de Baltasar Gracian.
Conscients de l’affligeante médiocrité de leur enseignement et cherchant à donner quelques parures à son âpre stérilité, ils ont introduits, dans leurs cursus d’apprentissage à la servitude marchande, des œuvres de Sun Tzu, de Machiavel, de Clausewitz et plus récemment donc, de Gracian. C’est qu’il est en effet très important de maintenir dans les esprits de ces futurs larbins du système, l’illusion de l’appartenance à une élite ; le mirage des gros salaires s’avérant désormais de plus en plus incertain.
Il n'y a guère, toutefois, qu'un crétin arriviste et superficiel, pour croire qu’il est possible de réduire L'Homme de cour à un vulgaire manuel pour parvenir. Ce remarquable ouvrage, si subtile dans sa forme et son contenu, ne se laissera pas si facilement déformer. Ne serait-ce que parce qu’il réservera exclusivement ses trésors de "savoir-vivre" à ceux qui, de par leur expérience propre, seront en mesure d'en discerner la portée et le champ d’application, sa dialectique interne. A ceux donc qui de par leur nature ne peuvent que mépriser les chemins de l’arrivisme.
C'est sans doute en cela que L'Homme de cour se révèle être également un livre très amusant : qui n’apportera que frustrations et déceptions à ces âmes de boue.
On méditera ainsi par exemple avec intérêt sur les applications pratiques de la thèse XXIX :
ÊTRE HOMME DROIT
"Il faut toujours être du coté de la raison, et si constamment que ni la passion vulgaire, ni aucune violence tyrannique ne fasse jamais abandonner son parti. Mais où trouvera-t-on ce phénix ?
Certes, l'équité n'a guère de partisans, beaucoup la louent, mais sans lui donner entrée chez eux. Il y en a d'autres qui la suivent jusqu'au danger, mais quand ils y sont, les uns, comme faux amis, la renient, et les autres, comme politiques, font semblant de ne la pas connaître.
Elle, au contraire, ne se soucie point de rompre avec les amis, avec les puissances, ni même avec son propre intérêt; et c'est là qu'est le danger de la méconnaitre.
Les gens rusés se tiennent neutres, et, par une métaphysique plausible, tâchent d'accorder la raison d’État avec leur conscience. Mais l'homme de bien prend ce ménagement pour une espèce de trahison, se piquant plus d'être constant que d'être habile. Il est toujours où est la vérité, et s'il laisse quelquefois les gens, ce n'est pas qu'il soit changeant, mais parce qu’ils ont été les premiers à abandonner la raison."
Un manuel d'arrivisme l'Oraculo manual ?

lundi 23 juin 2014

Un Paris révolutionnaire

Voilà un ouvrage de fort belle facture et très agréable à parcourir, proposant une manière autre de se promener dans Paris et avec d'autres points de repère que ceux auxquels l'on est généralement habitué.
Le principal regret viendra du fait qu'il semble bien que ce qui est talentueusement exposé ici, fasse désormais partie du passé. Tout le monde sait fort bien que la catégorie de personnages évoqués ici a été, littéralement, chassée de Paris; tous ces esprits peu conciliants avec les formes diverses de la domination ont été, fort efficacement, incités à porter leurs pénates en d'autres lieux.
Mieux encore, le dressage marchand organisé de la jeunesse a déployé toutes ses forces pour éviter l'émergence d'aussi mauvais "citoyens". Le touriste peut donc désormais baguenauder (trainer son ennui) tranquillement et enrichir le commerce local. Plus généralement ce sont les pauvres qui ont été chassés de Paris et priés de s'entasser ailleurs (les odeurs, disait l'autre). Qui sait à qui peuvent bien appartenir maintenant tous ces immeubles parisiens devenus si "tranquilles" ?
Le style de Claire Auzias et de ses co-auteurs, pour ces balades en un Paris autre, est très plaisant : on sent chez eux la parenté avec toutes les mauvaises têtes évoquées ici. Qui ne s'en laissaient pas conter ...
Quelques extraits choisis au hasard dans ce livre décidément très sympathique :
- "Françoise Goupil 23, rue Serpente
L'épouse de Hébert, le père Duchesne, est-elle l'auteur des Lettres bougrement patriotiques de la mère Duchesne ? Probablement.(...)
Ces journaux furent publiés par Guillaumet, rue Serpente, en 1791 : "Je disais donc, continue la mère Duchesne, que nous ferons un club avec ces dames et toutes celles qui auront la force de boire une bouteille sans broncher, ce sera la seule épreuve de réception."
- "Caserne de la garde républicaine, 2 rue Tournon (actuel numéro 10)
Bakounine vécut à Paris de juin 1844 à novembre 1847, où il fut expulsé à la demande de l'ambassadeur de Russie. La révolution de Février 1848 le ramène à Paris et il s'installe, le 26 février, à la caserne du numéro 2 de la rue Tournon, à deux pas du Luxembourg. Il y resta un mois, "un mois de griserie" selon ses mots.
"Non seulement j'étais comme grisé, mais tous l'étaient : les uns de peur folle, les autres de folle extase, d'espoirs insensés. (...) j'aspirais par tous mes sens et par tous mes pores l'ivresse de l'atmosphère révolutionnaire. C'était une fête sans commencement ni fin ... "
- "En quarante années de "la dernière des républiques", les promoteurs ont réussi là où les nazis avaient échoué en 1944 : éventrer Paris. (...) il ne faut plus s'étonner d'une architecture aveugle à l'environnement, amnésique à l'histoire et insensible à la poésie.
- " Patrick Cheval (1947-1991) 90, quai de la Loire
Au 90, quai de la Loire est une vieille maison, décrépite par périodes. C'est là que vécut quelques saisons Patrick Cheval, poète anonyme, buveur très illustre, valeureux pêcheur et impeccable aventurier de la "bonne vieille cause", dans un studio sous les toits au fond de la cour. Parmi quelques productions de qualité, (...), un slogan bien senti qui court les mondes rebelles depuis , "Tant qu'il y aura de l'argent, il n'y en aura jamais assez pour tout le monde."
En Vingt Arrondissements, imagé par Golo.

samedi 21 juin 2014

Sur le concept d'histoire de Walter Bejamin

C'est donc dans l'Angelus Novus de Klee que Benjamin reconnaissait son Ange de l'Histoire.

"Un tableau de Klee intitulé Angelus Novus représente un ange, qui donne l'impression de s'apprêter à s'éloigner de quelque chose qu'il regarde fixement. Il a les yeux écarquillés, la bouche ouverte, les ailes déployées. L'Ange de l'Histoire doit avoir cet aspect-là. Il a tourné le visage vers le passé. Là où une chaîne de faits apparait devant nous, il voit une unique catastrophe dont le résultat constant est d'accumuler les ruines sur les ruines et de les lui lancer devant les pieds."
" Il aimerait sans doute rester, réveiller les morts et rassembler ce qui a été brisé. Mais une tempête se lève depuis le Paradis, elle s'est prise dans ses ailes et elle est si puissante que l'ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement dans l'avenir auquel il tourne le dos tandis que le tas de ruine devant lui grandit jusqu'au ciel. Ce que nous appelons le progrès, c'est cette tempête."

Fort curieusement, on retrouve déjà cette inquiétude dans ce qui était pourtant censé être l'Ange de l'Annonciation par le grand Donatello :


vendredi 20 juin 2014

La Mort du Vazir-Moukhtar de Iouri Tynianov

La forme du roman historique, choisie par Tynianov pour cet ouvrage, vise à tenter de mieux cerner l’âme de son personnage en le replaçant, en direct, dans le contexte et les événements qui furent les siens qui servent alors, si l’on peut dire, de révélateur.
Les personnages de Tynianov sont complexes, ambivalents. Il ne craint jamais de les poser dans leurs contradictions, leurs hésitations, leurs doutes, leur faiblesse; illustrant de manière exemplaire ces propos sur la matière des romans d’Herman Melville : « Le roman où chaque personnage peut, en raison de sa cohérence, être saisi d'un seul coup d’œil, soit ne montre qu'une part du personnage, en la donnant pour l'ensemble, soit trahit profondément la réalité.(…) et n'est-ce pas un fait que, dans la vie réelle, un caractère cohérent est un rara avis ? Les choses étant ainsi, l'aversion des lecteurs pour les caractères contradictoires, dans les livres, peut difficilement naître d'une impression de fausseté qu'ils donneraient. Elle s'expliquerait plutôt par la difficulté où l'on est de les comprendre. » Et comme en cet ouvrage, ces personnages ne semblent donc souvent ne rien maitriser mais plutôt être agis par les circonstances ; se contentant, à posteriori, de donner le change et de tenir la pose.
« Quels hommes étaient-ce donc ?
Des hommes en qui l'habit faisait le moine : où allait l'habit, ils dirigeaient leurs pas. »
Le personnage central de ce récit est donc Alexandre Griboïedov (1795-1829), connu comme poète et homme de lettre russe, de ceux qui ont posé les bases de cette littérature ; il apparait ici comme une sorte de Byron russe, figure romantique tiraillée entre des aspirations contradictoires, que l’on voit traverser dans ce roman la dernière année de son existence.
Entre la cour du Tsar Nicolas Ier à St Petersbourg en 1828, peu de temps après l’insurrection décembriste, puis en tant que ministre plénipotentiaire - vazir-moukhtar – à celle du Chah de Perse en 1829, en passant par la Géorgie et le Caucase où il trouvera le temps d’épouser une jeune princesse. Peu d’exotisme, toutefois, chez Tynianov : les circonstances historiques sont décrites sans dissimulation de leur âpreté et des motivations souvent mesquines des protagonistes. Citant ainsi un passage du Gulistan : « N'approche jamais la porte d'un émir, d'un vazir ou d'un sultan sans y avoir de bonnes connaissances. Car en flairant l'étranger, le garde le chien et le portier t'attraperont qui par la jambe et qui par les pans de ta robe ».
A deux ou trois reprises, on croisera également Pouchkine « inaccessible à son esprit, avec ce droit illégitime que lui conféraient ses vers tendres et ses rudes paroles … ».
On n’oubliera pas non plus le contexte d’écriture de ce très grand roman : l’étouffoir progressif de la bureaucratie stalinienne ou Tynianov fut bientôt réduit à vivre en parfait reclus.
Un très grand roman donc, qui trouvera sans complexe sa place au milieu des meilleures œuvres du genre du XXème siècle et malgré l’étonnant manque de reconnaissance dont il fait l’objet.

dimanche 1 juin 2014

Japon - Mai 2014

  

 
Cette japonaise assise dans le métro après ce qui fut sans doutes une journée épuisante, dans une longue suite de journées toutes aussi épuisantes,  reste pour moi l'image la plus parlante et la plus significative de ce voyage au Japon. Je te rends hommage, belle inconnue, pour ta force et ta simplicité.