jeudi 31 juillet 2014

Carnet de citations - Histoire/ Historiosophie 8




« Apporter les bienfaits de la civilisation à notre frère assis dans les ténèbres a été une bonne affaire et nous a beaucoup rapporté, dans l'ensemble. » (Twain)

« Feuilletez quelques livres sur la Révolution russe. Jusqu'à présent, presque tous ont été faits par des gens plus ou moins intéressés, que ce soit au point de vue doctrinal, politique ou même personnel. Selon que l'écrivain est un "blanc", un "démocrate", un "socialiste", un "stalinien" ou un "trotskyste", tout change d'aspect. La réalité elle-même est façonnée au gré du narrateur. Plus vous cherchez à la fixer, moins vous y arrivez. Car les auteurs ont, chaque fois, passé sous silence des faits de la plus haute importance si ceux-ci ne s'accordaient pas avec leurs idées, ne les intéressaient pas ou ne leur convenaient pas. » (Voline)

« Les barrières dressées entre l'avenir et le passé s'effondrent ainsi d'elles mêmes,
de l'avenir non devenu devient visible dans le passé, tandis que du passé vengé et recueilli comme un héritage, du passé médiatisé et mené à bien devient visible dans l'avenir. » (Bloch)

« A l’œuvre ! Mettez-vous en besogne ! Soulevez villages et villes. Frappez tant que le fer est chaud. » (Münzer)

« Mercredi 18 juillet [1935]
Bien cher Guéhenno,
La chance n'a pas voulu que ces derniers temps nous puissions nous parler d'homme à homme. Il me faut donc vous écrire et ce n'est pas facile: je ne sais où vous trouver; je ne saurai pas comment vos yeux et vos mains accueilleront mes paroles; me voici seul: de ce côté de ces pages, de la souffrance pour moi. De l'autre côté, de la souffrance pour vous. (...)
Il y a deux ans je suis allé à Moscou ; sans doute n'avais-je guère à me déplacer beaucoup, pour me trouver là-bas, car depuis longtemps je ne voyais pas d'autre lieu possible pour la conscience des hommes. J'y suis allé; j'ai mis bien longtemps à en revenir. Cher Guéhenno, j'ai pu me mentir; j'ai voulu me persuader que j'avais mal vu, mal entendu; pour me permettre d'espérer encore, je me suis, en bon intellectuel, inventé des prétextes : "Ce que tu as aperçu ce fut un cauchemar, ce fut un monde dans lequel tout sens de la dignité humaine est mort, traqué." (Robin)

« S'ils le pouvaient, ces gens-là débarrasseraient les rues des marchands ambulants, des joueurs d'orgue de Barbarie, des défilés et conférenciers de tous acabits, pour les transformer en couloirs de prison respectables, où le peuple passerait péniblement pour aller au travail et en revenir. » (Morris)

« Des méthodes vivantes se sont figés en formules, des recherches scientifiques en schémas creux. » (Reich)

« Pendant ce temps et sous cette culture apparente, s'active le grand système commercial, pierre angulaire de cette société, que les gens cultivés croient être à leur service mais qui en réalité les domine et détruit les rapports sociaux. Car ce système est par essence une guerre, et seule sa mort le changera; cette guerre, homme contre homme, classe contre classe, dont la devise est : "Ce que je gagne, tu le perds", durera jusqu'au grand bouleversement dont le but final est la paix. » (Morris)

« Orwell se rendit dans les tranchées du front d'Aragon à Alcubierre. Il appartenait à la "Rovira", ou 29ème Division, et toutes les divisions avoisinantes étaient composées exclusivement de milices anarchistes. "J'étais tombé plus ou moins par chance dans la seule communauté de quelque importance en Europe occidentale où la conscience politique et le refus du capitalisme étaient plus naturels que leur contraire." (Crick)

CARNET DE CITATIONS Société 6




S'ils le pouvaient, ces gens-là débarrasseraient les rues des marchands ambulants, des joueurs d'orgue de Barbarie, des défilés et conférenciers de tous acabits, pour les transformer en couloirs de prison respectables, où le peuple passerait péniblement pour aller au travail et en revenir. (Morris)

« La plus grande infamie ici-bas est que personne ne veuille prendre sur soi la famine des nécessiteux, les grands de ce monde font ce qui leur plaît (...) Voyez donc, le comble de l'usure, du vol et du brigandage, voila nos seigneurs et nos princes. Ils s'approprient toute créature (...) Il faut que tout leur appartienne. Ensuite ils notifient aux pauvres le commandement de Dieu disant : Dieu l'a prescrit, tu ne dois point voler ! Mais , pour leur compte, ils ne se croient pas tenus d'obéir à ce précepte (...) Ils se refusent à supprimer ce qui provoque la révolte ; comment les choses, à la longue, iraient-elles mieux ? Mais, si je parle de la sorte, on me traite de séditieux, allons donc ! » (Münzer)

« -Nous voici enfin dans le monde, dit Critile au naïf Andrénio comme ils sautaient à terre. Je regrette que tu y entres avec autant de conscience car il va fort te déplaire. » (Gracian)

« Que fais-tu ? Sais-tu bien à qui tu as affaire ? Ne vois-tu pas que tu te déclares contre la Fausseté, c'est-à-dire contre tout le monde, et qu'on va te prendre pour un fou à défendre l'autre, la Vérité ? Les enfants et les fous ont déjà voulu venger cette dernière en la faisant sortir de leur bouche mais trop faibles contre tant d'adversaires si puissants, ils n'ont rien pu faire : la Vérité, toute belle qu'elle soit, est depuis restée abandonnée. Et lentement, on l'a poussée et repoussée au loin, si bien qu'aujourd'hui, elle n'ose paraître et nul ne sait où elle a pu trouver refuge. » (Gracian)

« Patrick Cheval (1947-1991) 90, quai de la Loire
Au 90, quai de la Loire est une vieille maison, décrépite par périodes. C'est là que vécut quelques saisons Patrick Cheval, poète anonyme, buveur très illustre, valeureux pêcheur et impeccable aventurier de la "bonne vieille cause", dans un studio sous les toits au fond de la cour. Parmi quelques productions de qualité, (...), un slogan bien senti qui court les mondes rebelles depuis, "Tant qu'il y aura de l'argent, il n'y en aura jamais assez pour tout le monde." (Auzias)

« Toutefois, si l'art de mentir a toujours été assidûment cultivé à travers le monde et en particulier par la fraction de ceux qui vivent du travail des autres, c'est un art que peu de gens ont su mener à la perfection. » (Morris)

« La cohésion sociale se crée à chaque instant, elle se renforce ou s'affaiblit en fonction des innombrables décisions de chaque membre de faire ou non confiance à un autre membre en prenant le risque qu'un don ne soit pas rendu. » (Godbout)

« Si cela était possible, il suffirait de mesurer l'importance des dons dans une société pour en connaître le degré de liberté, et cela autant au niveau micro-social qu'au niveau macro-social. Chaque don est un geste qui élargit l'espace de liberté des membres d'une société. » (Godbout)

« Voyons maintenant ce que pourrait être dans l'avenir l'enseignement, aujourd'hui totalement soumis au commerce et à la politique. Personne n'est éduqué pour devenir un homme, mais certains le sont pour détenir la propriété et d'autres pour la servir. » (Morris)

« La langue des Gitans apparaît donc comme une "langue mère" -- équivalent de ce que furent le latin et le grec aux origines du français -- avec cette particularité, liée aux classes dangereuses, qu'elle était longtemps restée, elle-même, étrangère et impénétrable aux premiers linguistes. » (Becker-Ho)

lundi 28 juillet 2014

"Contradictions"

Rédigé entre 1930 et 1933, juste avant la prise de pouvoir des nazis, cet ouvrage de référence a naturellement pris quelques rides du fait des modifications notables que la domination a apporté à son mode de fonctionnement et tout particulièrement dans le contrôle de ce que l’on appelle l’opinion. Ce que Goebbels, ministre de la propagande du régime nazi rêvait, la société spectaculaire-marchande l’a réalisé beaucoup plus efficacement.
Il faut donc se rappeler que Wilhelm Reich, en tant que penseur critique de cette époque particulièrement troublée, fut parmi les premiers à tenter de faire usage des découvertes de la psychanalyse freudienne conjointement à la pensée émancipatrice de Marx. Ce qui le désigna automatiquement comme cible privilégiée de toutes les tendances totalitaires et réactionnaires de son temps. Tendances qui, hier comme aujourd'hui, ne veulent pas admettre cette synthèse, profondément novatrice, orientant les recherches « sur la manière dont l'homme d'une certaine époque est, pense, agit en fonction de sa structure caractérielle, sur la manière dont les contradictions de son existence se répercutent en lui, sur la manière dont il tente de maîtriser sa vie. »
Contestant des approches purement psychologisantes ou purement économiques, Reich tente une approche globale d’un phénomène complexe qui reste toujours aussi angoissant en notre époque : pourquoi les « masses » font-elles ainsi le choix du pire ? « La question n'a pas été posée de savoir comment des masses paupérisées ont pu passer au nationalisme. Des mots comme "chauvinisme" "psychose", "conséquences du traité de Versailles" n'expliquent pas la tendance du petit bourgeois ruiné à épouser le radicalisme de droite, puisqu'ils ne cernent pas réellement le processus en question. »
« La critique n'a de sens et de portée pratique que si elle peut montrer à quel point précis on est passé à coté des contradictions de la réalité sociale. »
Reich dénonce également le verbiage issu de l’héritage marxiste dévoyé : « Des méthodes vivantes se sont figées en formules, des recherches scientifiques en schémas creux. »
Pour cela, il cherche à revenir aux fondamentaux d’une pensée qui se veut réellement dialectique, démontrant que les contradictions d’une époque, ses mensonges et dissimulations diverses, ont une relation directe avec la formation de la psyché des individus qui la composent et donc avec leur aliénation : « S'il est vrai qu'une "idéologie agit en retour sur le processus économique", elle a dû se transformer auparavant en une puissance matérielle.
(...) Comme les hommes faisant partie des différentes couches ne sont pas seulement les objets de ces influences mais les reproduisent aussi comme individus actifs, leur pensée et leur action doivent être aussi contradictoires que la société d'où elles émanent. Comme une idéologie sociale modifie la structure psychique des hommes, elle ne s'est pas seulement reproduite dans ces hommes, mais -- ce qui est plus important -- elle a pris dans la forme de l'homme concrètement modifié et agissant d'une manière modifiée et contradictoire le caractère d'une force active, d'une puissance matérielle. C'est ainsi et seulement ainsi que s'explique l'effet en retour de l'idéologie d'une société sur la base économique dont elle est issue. »
Pour bien saisir la portée des analyses de Reich, on les replacera donc dans leur contexte, à savoir les aboutissements de la République de Weimar, régime issu des conséquences en Allemagne de la guerre 14-18 et massacreur de la tentative révolutionnaire de 1918 en ce pays. Mais aussi l’échec de la Révolution russe avec la prise de pouvoir des bolchéviks et la mise en place d’un régime totalitaire, d’un capitalisme d’État, fort éloigné des aspirations historiques de Marx. Et la mainmise de ce régime, dans les années 20, sur tous les partis dits-communistes européens dont les directions furent transformées en simples relais du régime stalinien. On comprendra mieux alors toute la portée des « contradictions » dont parle Reich.
L'on dispose bien alors d'une clé de compréhension de ce qui, pour beaucoup, reste un phénomène historique incompréhensible. Analyse qui a le grand mérite d'être applicable aussi bien pour le nazisme que pour son pendant stalinien. Le plus grand reproche que l'on puisse formuler à l'encontre de la pensée critique de Reich, c'est qu'elle ait trouvé si peu de continuateurs conséquents. Et que, de ce fait, la relation entre l'inconscient humain et le champ politico-social reste tristement inexplorée.
Sauf à un niveau primaire (pour la propagande et la publicité) par ceux qui sont les représentants de la domination et qui n'ont donc aucun intérêt à l'émancipation du genre humain.

jeudi 24 juillet 2014

Exigence ...


     Une fort belle présentation, bien qu'un peu brève, du style décoratif produit par William Morris à partir de 1860. Artisan d'art, poète, écrivain et critique radical de la société marchande, ce créateur génial allait influencer grandement ce qui ultérieurement deviendrait le mouvement artistique Arts & Crafts . Pour Morris, la beauté et la qualité d'un objet ne pouvait être séparé du plaisir ressenti dans sa création par celui qui le faisait naitre ; on comprend mieux le fossé existant entre cette merveilleuse production, riche d'imaginaire, et la laideur accablante de la plupart des objets de consommation contemporains quand on connait les conditions de vie épouvantables de ceux qui les produisent.
 William Morris lui-même, résumait d'ailleurs fort bien la question dans son ouvrage critique "L' Age de l'ersatz":
"Mais c’est perdre son temps que de vouloir exprimer l’étendue du mépris que peuvent inspirer les productions de cet âge bon marché dont on vante tellement les mérites. Il suffira de dire que le style bon marché est inhérent au système d’exploitation sur lequel est fondé l’industrie moderne. Autrement dit, notre société comprend une masse énorme d’esclaves, qui doivent être nourris, vêtus, logés et divertis en tant qu’esclaves, et que leurs besoins quotidiens obligent à produire les denrées serviles dont l’usage garantit la perpétuation de leur asservissement. "

lundi 21 juillet 2014

Jan Potocki




 "Sois semblable à cet ombrage, 
garde-toi de renfermer tes bienfaits 
dans l'enceinte de ce qui t'appartient."

lundi 7 juillet 2014

CARNET DE CITATION -Psychologie, comportement humain 7



« Je ne me sens ni la compétence ni l'envie de débattre de l'excellence ou de la médiocrité éthique de l'égoïsme, mais comme médecin, je dois dire qu'il est effarant de constater combien peu les gens s'occupent d'eux-mêmes; et je ne fais pas exception des prétendus égoïstes et égocentriques ; ceux-là, précisément, s'occupent le moins d’eux-mêmes. Leur vie a coutume d'être une fuite constante devant eux-mêmes. On a peut-être raison de supposer qu'ils servent leur moi - ce qu'ils estiment être leur moi - , mais en vérité, le soin du moi résulte de la crainte qu'ils ont de leur "soi", car ils se détournent de leur "soi", de leur âme intime. » (Groddeck)

« L’esprit est à soi-même sa propre demeure ; il peut faire en soi un Ciel de l’Enfer, un Enfer du Ciel. » (Milton)

« En se poussant vers son existence vraie, la conscience atteindra un point où elle se libérera de l'apparence, l'apparence d'être entachée de quelque chose d'étranger qui est seulement pour elle et comme un autre. » (Hegel)

« Car la conscience est d'un coté conscience de l'objet, d'un autre conscience de soi-même. » (Hegel)

« Car l'entendement donne seulement l'indication du contenu, mais il ne fournit pas le contenu même. » (Hegel)

« Plusieurs projettent beaucoup, sans pouvoir se fixer à rien : une défiance sophistiquée les joue et les mène de projets en projets, qu'ils soupçonnent l'un après l'autre d'être trop mal assurés pour s'y arrêter. Ils ont sans doute de la pénétration; mais, irrésolus à l'heure même qu'ils pensent le mieux, ils flottent avec inquiétude entre le oui et le non; ils remettent un dessein à peine conçu, pour en former un autre, auquel ils ne s'attachent pas davantage. Tout se présente à eux en même temps sous deux faces différentes, dont l'une est pour leur dessein, et l'autre leur paraît contre : ils ne se détermineront point. Comme si l'esprit de l'homme ne devait jamais rien adopter sans une démonstration mathématique du succès. » (Gracian)

« L'affectation est positivement le contraste de la grandeur, parce qu'il y a toujours de la petitesse d'esprit dans celle-là, au lieu que, dans l'autre, il y a toujours de l'élévation, toute naturelle, et toute simple qu'elle est. » (Gracian)

« La question fondamentale, à toujours se poser, dit Jean Oury - "Qu'est-ce que je fous là ?" »
                     
« (Au sujet de L'Utopie de Thomas More)
Art d'écrire secret tel qu'une pensée libre puisse se livrer à la recherche de la vérité sans blesser ouvertement l'opinion, et donc n'en pas souffrir à son tour. Multiples sont les procédés de ce type d'écriture : obscurité du plan, fausses citations, pseudonymes, expressions étranges, répétitions inexactes d'affirmations antérieures. La contradiction intentionnelle en est le procédé le plus marquant; elle fonctionne comme un signal d'alerte pour le lecteur attentif aussitôt incité à découvrir le dessein énigmatique de l'auteur. » (Abensour)

« Mais celui qui n'est rien, dehors non plus ne rencontre plus rien. » (Bloch)

« La clarté, voilà ce qui, pour lui, était de première importance. Il aimait la clarté et quelquefois n'hésitait pas à faire appel à son revolver pour éclairer d'emblée quelque situation inextricablement obscure. » (Kavérine)