mardi 13 décembre 2022

Carnet de citations : Psychologie/Inconscient N° 16 ET 17


 

Un des problèmes analytiques clés que l'écologie sociale et l'écologie mentale devraient affronter, c'est l'introjection du pouvoir répressif de la part des opprimés. (Guattari)

Partout s'imposent des sortes de chapes neuroleptiques pour fuir précisément toute singularité intrusive. (...) Il risque de ne plus y avoir d'histoire humaine sans une radicale reprise en main de l'humanité par elle-même. (Guattari)

La définition même de la bêtise : croire qu’on représente l’intelligence. (Rancière)

A toutes les échelles individuelles et collectives, pour ce qui concerne la vie quotidienne aussi bien que la réinvention de la démocratie, (...), il s'agit, à chaque fois, de se pencher sur ce que pourraient être des dispositifs de production de subjectivité allant dans le sens d'une re-singularisation individuelle et / ou collective, plutôt que dans celui d'un usinage mass-médiatique synonyme de détresse et de désespoir. (...) Il ne saurait plus s'agir là de mots d'ordre stéréotypés, réductionnistes, expropriant d'autres problématiques plus singulières et impliquant la promotion de leaders charismatiques. (Guattari)

Sur le plan des moyens de la pensée des populations contemporaines, la première cause de la décadence tient clairement au fait que tout discours montré dans le spectacle ne laisse aucune place à la réponse; et la logique ne s'était socialement formée que dans le dialogue. Mais aussi, quand s'est répandu le respect de ce qui parle dans le spectacle, qui est censé être important, riche, prestigieux, qui est l'autorité même, la tendance se répand aussi parmi les spectateurs de vouloir être aussi illogiques que le spectacle, pour afficher un reflet individuel de cette autorité. Enfin, la logique n'est pas facile, et personne n'a souhaité la leur enseigner. (Debord)

Comme toute pensée bourgeoise, cette psychanalyse croit dire le vrai sur la nature humaine au-delà des différences culturelles et historiques. S’agit-il encore de psychanalyse ? Rien n’est moins sûr. C’est la raison pour laquelle nous proposons de parler à son endroit de psychanalysme, en tant que discours qui participe de la domination et de la fabrication de l’idéologie comme « ensemble des productions idéelles par lesquelles une classe dominante justifie sa domination . (Gabarron-Garcia)

Peut-on imaginer que l’Inconscient ait une histoire ? Que sa « formation » l’inclue dans un ensemble de transformations historiques qui bouleversent les conditions collectives de ses manifestations singulières ? Qu’une sorte de jonction interdise de penser l’Inconscient dans ses seules singularités cliniques individuelles, et tente d’esquisser leur arrière-fond commun ? (J. C. Pollack)

On ne peut sortir réellement de ce monde qu'en reconnaissant d'abord que nous y sommes et que nous y étouffons et ensuite en travaillant pratiquement à sa transformation. (Norbert Guterman)


Dans nos territoires existentiels rabougris, ramassés le plus souvent sur les cercles les plus restreints de la famille, du couple, ou du moi dans sa solitude, c’est le monde qui nous est apparu (ou qui a disparu) sous une nouvelle lumière, via les écrans qui nous en coupent et nous y connectent, et mettent en évidence les multiples césures qui le traversent, le brisent, le fragmentent à tous les niveaux, molaires comme moléculaires. Si notre monde globalisé est celui du déchaînement des flux matériels et sémiotiques, c’est aussi celui de la multiplication et de l’intensification des expériences de séparations.
Les corps isolés par les mesures sanitaires font écho à un ensemble d’autres séparations qui sont explorées dans ce numéro. (...) séparation orchestrée par le Spectacle qui transforme nos vies en mascarades et les sujets en « persona » au sens du marketing plus que du théâtre antique, séparation entre bonne tenue dite républicaine et mauvais corps croqués en crop-top. (Revue Chimères)

l’analyste. Il n’est pas là pour édifier, enseigner, prescrire, conseiller, réconforter ou satisfaire : ce n’est pas son but. Mais il doit tout à fait intervenir avec une très large gamme de créativité, afin que le processus d’analyse puisse avoir lieu. Le psychanalyste est bien sûr lui aussi un sujet divisé ; la place d’agent dans le schéma du « discours de l’analyste » ne définit qu’une position en fonction et non pas du tout l’être du psychanalyste. Elle est ni plus ni moins créative et ni plus ni moins rigide que celle d’un musicien ou d’un menuisier quand il est en train de faire de la musique ou de la menuiserie ! Cette position peut devenir cynique et ravageuse si le psychanalyste se prend au jeu de sa position et se transforme en citadelle arrogante.

(Sandrine Aumercier)


Si se mettre d'accord avec les autres est souvent nécessaire et peut s'avérer gratifiant, les groupes semblent souvent troquer la solitude de l'ego contre les pathologies de la vie groupusculaire. C'est quelque chose qui se comprend aisément puisque le groupe ou le collectif dans la société capitaliste n'en est pas moins une partie et un produit de la société capitaliste que les individus qui le composent. A ce point, la réflexion gagne à partir de la théorie de l'inconscient, qui peut se comprendre non pas comme quelque chose de personnel et d'individuel, mais comme un phénomène social et transpersonnel. Les groupes font ressortir l'inconscient et le rendent visible.

(Endnotes)

La famille est donc le lieu où le capital articule, dans son mouvement, les différents échanges et rapports de production et régule les différences de pouvoir qui s’établissent entre ses membres, comme conséquence de la division du travail qui a lieu en son sein. Cette « division » du travail à l’intérieur de la famille correspond évidemment à une stratification du pouvoir entre ses différents membres. (...) Dans ce contexte, on comprend facilement pourquoi la famille est un «nid de vipères», un gouffre de haine, une usine de folie. Elle représente, en effet, un enchevêtrement de patrons et d’ouvriers, une trame d’exploités et d’exploiteurs, un réseau de chantages affectifs, de frustrations et de dépendances. La famille est capital et la haine de classe, la révolte, le sabotage ne peuvent que se déchaîner contre elle. Les parents sont les « ennemis » les plus immédiats de leurs enfants, les premiers patrons et, vice-versa, les enfants par rapport à leurs parents, l’époux par rapport à son épouse, et ainsi de suite. Mais leur véritable ennemi, celui qui est le véritable responsable de leur malheur, c’est le capital.

(Leopoldina Fortunati) 

 

On regrettera ici que la psychanalyse n'ait pas rompu, la plupart du temps avec cette tendance foncière de la psychologie à considérer les psychismes des individus comme autant d'îles fermées, impénétrables les unes aux autres, des sortes d'homo clausus. Au lieu de voir que nous faisons en réalité partie les uns des autres, toujours déjà tissés ensemble dans des relations d'interdépendances innombrables, qui ne sont pas seulement familiales. (Hervé Mazurel)



dimanche 30 octobre 2022

Carnet de citations : Société N°35

 

Le capitalisme s’était insinué dans la vie quotidienne et la psychologie des êtres humains, en imposant une idéologie de fond dans laquelle nous étions tous enveloppés comme dans un cocon, certains consciemment, d’autres moins, d’autres encore l’ignoraient complètement. (Ming 1 Wu)


Car le fait est qu’on ne vous paye jamais pour être libre. (Annie Le Brun)


Aujourd’hui, l’école, telle qu’elle existe, est non seulement un espace privilégié de reproduction de toutes les injustices sociales — classes, genres, races —, mais également un dispositif de colonisation de l’enfance et de son langage, qui, en tant que tel, contribue à désubjectiver les êtres, à les amputer de leur capacité à se mouvoir dans l’espace, le temps, la culture et la langue. ( P. A. Delabre)


Vivre un tournant époqual, c’est le destin historique qui nous est offert, que nous le voulions ou non. Nous oublions mais, contrairement à ceux qui viendront après nous, nous avons encore la chance de nous souvenir de cet oubli. Témoigner pour ce qui se perd, c’est peut-être là notre tâche. Se souvenir que nous oublions, que nous oublions comment nous passions une journée avant internet, comment nous arpentions la ville avant les smartphones, comment nous nous touchions les uns les autres avant la pandémie, comment nous entrions dans l’espace public avant les masques, les passes et l’aveu collectif, trop longtemps retenu, de la haine mutuelle des uns pour les autres en régime néolibéral. ( O. Cheval)


L'équation "essence = differentia specifica" avait conduit le Romantisme à supposer que l'altérité de tout homme était l'individualité même ou du moins constituait une information relative à l'individualité; on avait identifié "l'écart et la subjectivité", comme il est dit chez Hegel. Tant que la vie a réellement consisté à "former" l'individualité et avait le temps de s'y consacrer, la conception de l'être-autre comme individualité a été plus qu'une simple surcompensation de l'être-autre, davantage qu'une simple théorie sur l'homme. Cet écart manque aujourd'hui. Chacun est comme il est, autre que tout autre, mais aucun n'a le temps de l'être. (Günther Anders)


Placer au centre l'individu et sa capacité à se déprendre d'un monde social perçu comme indigne n'est en effet pas spécialement subversif, c'est le régime d'explication qui est le plus courant aujourd'hui. Loin de pensées de l'émancipation qui ont des caractères collectifs plus marqués, qui envisagent des classes en lutte contre des dominations structurelles, cette écologie est un outil d'acceptation sociale d'autant plus efficace qu'elle se présente comme une "alternative" atteignable et individuellement gratifiante. (Aure Vidal)


La résilience est une technologie du consentement. Il s’agit de consentir à la fatalité des désastres notamment technologiques afin d’apprendre à « vivre avec », sans jamais s’attaquer à leurs causes. Consentir à l’entraînement, à l’apprentissage et à l’expérimentation de conditions de vie dégradées par le désastre. Consentir encore à la participation pour fonder la déresponsabilisation des décideurs et la culpabilisation des victimes. (Thierry Ribault)


On ne peut qu’espérer une amplification de la contestation ouvrière en Chine et ailleurs. Mais c’est d’abord à nous autres, classes moyennes urbaines mondialisées, à la fois infiniment moins accablées par les problèmes de survie et en même temps hébétées par le kaléidoscope numérique, qu’il appartient de cesser d’adhérer à ce modèle et de repenser la matérialité de notre existence. En commençant par un exercice d’imagination : et si l’ensemble des infrastructures nécessaires à la production de tous les ordinateurs, télévisions, iPads, appareils photo et téléphones que nous utilisons étaient relocalisées sur nos territoires  ? Voyons un peu : mines de terres rares, d’or, de cuivre et d’étain, forages pétroliers, usines chimiques, construction de nouvelles centrales électriques, multiplication des prélèvements d’eau, usines de circuits électroniques et d’assemblage, déversements toxiques à chaque étape de la production. Regarder cela en face, ne pas le perdre de vue, n’est-ce pas un préalable indispensable à toute réflexion sur la « liberté », l’« autonomie », la « solidarité » et la « créativité » que tous ces objets sont censés décupler  ? (Celia Izoard)

mercredi 22 juin 2022

Carnets de citation : De l'agir 7

 

 

« Ce qui nous manque, c'est la faculté créatrice pour imaginer ce que nous connaissons; ce qui nous manque, c'est l'impulsion généreuse à accomplir ce que nous imaginons; ce qui nous manque c'est la poésie de la vie ... » (Shelley)


« Celui qui se livre complètement au présent est condamné à réagir sans cesse à des faits accomplis. (...) Celui qui ne trouve pas la force de rêver ne trouvera point la force de lutter. » (Oskar Negt)


« Il n’y a de libération que pour ceux qui se mettent intérieurement et extérieurement en état de sortir du capitalisme, qui cessent de jouer un rôle et commencent à être des humains. » (Gustav Landauer )


« Le moment de prendre l'initiative ne vient jamais pour ceux qui attendent que les "conditions objectives" marquent leur heure dans l'histoire. » (Jaime Semprun)


« J'ai toujours ressenti le "refus de parvenir". Ainsi, je n'ai jamais occupé de poste dans le mouvement ouvrier. J'ai assumé des tâches, exercé des responsabilités, certes, mais pas pour de l'argent et sans jamais avoir un statut particulier. J'ai toujours été dans des situations où j'étais éligible et révocable. Jamais je n'aurais voulu avoir une position de permanent. Cela ne me séduit absolument pas; je garde ainsi ma liberté et je peux vraiment exprimer ce que je pense. Je ne veux pas me vanter, mais je sais que dès que tu reçois de l'argent, tu n'es plus ton propre maître car tu dois t'identifier aux gens qui te paient. Du coup, tu perds ton indépendance. Pour moi, cela a été important de ne jamais occuper un poste; si on me l'avait proposé, je l'aurais refusé. » (Paul Mattick)


« Notre guerre à nous serait une guerre de décrochage. Il nous faudrait contenir l’ennemi par la silencieuse menace d'un désert vaste et inconnu et ne nous découvrir qu'au moment de l'attaque. »

(T. E. Lawrence)


«  J'avais besoin d'imaginer des mondes radicalement différents car même les récits qui me traversaient parvenaient à brider cette exploration. Je résistais en imaginant ne pas résister. Je résistais en voulant échapper aux récits de résistance qui s'ajustaient toujours aux systèmes d'oppression. »

(Elena Aguilar Gil)


« Je suis toujours restée aussi loin que possible du système. Je n’ai jamais eu de métier réel, j’ai fait des petits travaux. C’est bien sûr un choix personnel qui suppose quelques acrobaties et qu’on ne peut réclamer de personne d’autre. De toute façon, je ne sais pas comment j’aurais pu vivre autrement, même si c’est au prix d’une certaine précarité. Car le fait est qu’on ne vous paye jamais pour être libre. Ainsi me parait-il difficile d’avoir un rapport critique à ce monde, tout en étant rétribué pour y exercer un certain pouvoir. C’est aujourd’hui malheureusement autant le cas des intellectuels majoritairement universitaires que celui des artistes cherchant de plus en plus à être subventionnés. Du coup, il ne faut pas s’étonner que les intellectuels, à quelques exceptions près, aient de moins en moins de scrupules à se faire les justificateurs de ce qui est, quand les artistes se laissent réduire au rôle d’animateurs culturels. Il n’y a pas d’un côté la vie et de l’autre la pensée ou l’art. Telle est pour moi l’inconséquence majeure à l’origine de l’actuel triomphe de l’insignifiance. » (Annie Le Brun)


« L'urgence n'est pas de défendre "les libertés", mais de réinventer la liberté. Le déclin programmé des libertés partielles n'est que l'autre face du triomphe d'une conception avilie de la liberté humaine, à peu près réduite à celle que demande le système marchand et technicien. » (Groupe Marcuse)


« L'idée moderne de liberté s'est constituée contre le repoussoir des mondes fermés d'antan, de la vie de village ou dans les petits quartiers, avec leurs commérages et leur contrôle social de proximité. L'indépendance économique et le contact direct avec la nature ont été sacrifiés à ce désir d'anonymat. Or, en ce début de XXIe siècle, l'anonymat - qui a gagné bien des campagnes - n'a plus rien de protecteur. La liberté ne se conquiert pas en fuyant notre humanité mais en l'élaborant autrement. » (Groupe Marcuse)


« C'est parce que les virtualités du système actuel prennent corps sans rencontrer d'opposition qu'on semble devoir aboutir à une société totalitaire complètement intégrée. Pour mettre obstacle à ce mouvement, il faudrait que les classes opprimées "se libèrent à la fois d'elles-mêmes et de leurs maîtres."

(Paul Mattick)

jeudi 26 mai 2022

Éloge de la désertion

 

 

"En attendant, reste la désertion. Longtemps, je me suis demandé si le régime de servitude aujourd'hui en passe d'induire tout lien social était vécu consciemment ou non. Difficile de décider. Mais l'important est plutôt de savoir qui s'y soumet ou non. Innombrables sont les chemins de traverse pour y échapper, quand on veut bien prendre le risque de ne pas se tenir du côté des vainqueurs. Mieux, de s'en tenir au plus loin." 

                                                                            (Annie Le Brun)

 

Un constat : Nous vivons dans un monde que, pour bien des raisons, nous ne pouvons reconnaître comme le nôtre. 

Nous y sommes, d’une certaine manière, comme des étrangers. 

Nous y sommes nés, y habitons, en affrontons tous les jours les réalités pratiques et pourtant nous ne pouvons réellement y prendre place.

Nous ne le pouvons pas parce que la forme de société qui y règne, celle qu’y impose l’idéologie capitaliste, avec son injustice institutionnalisée, ses hiérarchies obscènes, ses inégalités et ses séparations entretenues, ses guerres permanentes et ses visions à court terme déterminées par les logiques du profit financier, nous est parfaitement contraire, ennemi.

Mais quel est ce Nous : ni plus ni moins que la très grande majorité des Terriens, de ceux qui peuplent cette planète. Nous sommes ceux dont l’on n’écoute pas la parole ; ou alors juste pour faire mine mais, en finalité, il n’en sera tenu aucun compte.

Comment est-ce possible, comment une aussi affligeante situation peut-elle ainsi se perpétuer, siècle après siècle et dans tous les pays, en s’aggravant même.

Non pas seulement par la tromperie des dominants mais aussi par les tromperies que nous nous imposons à nous-mêmes. Comment nous nous trompons sur ce qu’il faudrait faire, sur la manière dont nous pourrions sortir de cette misère. Par exemple, comment dans ce jeu de dupes où en croyant nous « élever », nous sommes amenés à nous renier en notre humanité et à mépriser nos semblables.

Depuis toujours la domination règne par la division des dominés, en entretenant et en alimentant les multiples séparations artificielles qui les maintiennent dans l’impuissance.

Déserter ce monde, leur monde, ce n’est pas renoncer à agir : c’est au contraire commencer à prendre place dans le monde Commun auquel nous aspirons, en ouvrir les perspectives.

À la place de la division, reconnaissons la diversité des êtres et des cultures. À la place de la séparation - entretenue par le numérique, devenue arme de destruction massive du dialogue - réinstaurons partout ce dialogue et la rencontre de l’autre, du différent.

Comme nous ne pouvons actuellement affronter directement ceux qui tiennent les manettes de ce monde stupide, où prédominent l’égoïsme et la mesquinerie, puisqu’ils détiennent la force des armes et la puissance économique, alors abandonnons les massivement.

Désertons leur monde. Ne leur apportons plus nos forces et nos talents. Laissons-les seuls avec leur médiocrité et leur « élitisme » illusoire.

Prendre la marge, ce n’est pas plonger dans l’isolement et la solitude. C’est au contraire faire ce pas de coté qui nous permettra de rejoindre tous ceux qui ne veulent plus de de ce monde là. Tous ceux qui ne veulent plus vivre comme des zombies « connectés » et obéissants à la machinerie capitaliste.

Cessons d’avoir peur. Nous verrons alors qu’un autre monde, plein de couleurs nouvelles, est bien possible, loin des mots creux des politiciens.

 

                                                                                                                                      Steka

Carnet de citations - Société N°34

 

Dans nos territoires existentiels rabougris, ramassés le plus souvent sur les cercles les plus restreints de la famille, du couple, ou du moi dans sa solitude, c’est le monde qui nous est apparu (ou qui a disparu) sous une nouvelle lumière, via les écrans qui nous en coupent et nous y connectent, et mettent en évidence les multiples césures qui le traversent, le brisent, le fragmentent à tous les niveaux, molaires comme moléculaires. Si notre monde globalisé est celui du déchaînement des flux matériels et sémiotiques, c’est aussi celui de la multiplication et de l’intensification des expériences de séparations.

 (Chimères)


Cela remonte à une vingtaine d’années et la captation mentale a fait depuis beaucoup de progrès avec la mise à la disposition de tous d’un appareil portable, qui cumule les capacités de communication en donnant accès à la fois à Internet, aux chaînes de télévision, aux réseaux sociaux et au réseau téléphonique. Chacun a désormais son smartphone et il suffit d’emprunter les transports publics pour constater que leur utilisation ne cesse guère d’occuper une bonne partie des voyageurs. Bien des parents se plaignent que leurs enfants n’ont plus d’échange avec leurs camarades qu’avec cet appareil. Cette addiction est évidemment inquiétante car elle touche une bonne partie de la population, mais son pire effet tient sans doute à ce que le smartphone donne réponse à tout grâce à sa liaison avec Internet et que l’utilisateur finit par s’en attribuer le mérite, donc la pensée. Le smartphone finit alors par devenir un organe, qui annonce des connexions toujours plus intimes qu’on commence déjà à greffer sur le corps : elles rendront l’individu de plus en plus dépendant, manipulé, soumis. Tout cela est le résumé sommaire d’une situation qui installe un contrôle généralisé grâce à des appareils séduisants et non par la contrainte, tout en développant une police dotée de forts moyens de répression.

(Bernard Noël)


En ce début de XXIe siècle, l'individu se trouve assiégé probablement comme jamais par l'État et les grandes entreprises, étouffé par le conformisme et dans la quasi-impossibilité pratique de vivre différemment de la majorité, quand bien même il aurait la force ou la chance d'en formuler le désir. Tout se passe comme si les fondements juridiques, idéologiques et anthropologiques de la modernité étaient littéralement écrasés par les évolutions économiques et technologiques qu'ils ont autorisées, et par une bureaucratisation de la vie sociale que nourrissent constamment les logiques marchande et technicienne.

 (Groupe Marcuse)


Maintenant ta vie dépendait de décisions prises par des ministres au teint gris, aux costumes raides, aux visages flasques comme des serpillières, dont les discours formaient une pâte gluante qui collait aux oreilles et tournait en boucle dans les médias. 

(Alain Parrau)


Je voudrais ici tenter de cerner les contours du régime de capitalisme qui se met en place sous le nom de "croissance verte" ou de "capitalisme vert", en faisant apparaître les ressorts et montrer en quoi il s'inscrit dans la droite ligne du capitalisme financiarisé apparu au tournant des années 1980. (...) Ce que l'on observe est dans l'ensemble une poursuite des logiques existantes, une extension du capitalisme industriel à de nouveaux domaines plutôt qu'un changement de modèle.

 (Hélène Tordjman)


Dans le champ de l'opinion, qui domine aujourd'hui à chaque instant le sens commun de l'ensemble de la population au moyen des médias, on observe cette même standardisation du pensable, menée à son paroxysme. Les opinions défilent les unes après les autres, avec plus ou moins de mise en scène conflictuelle selon les audiences, mais avec un présupposé de fond identique : le fait d'avoir une opinion nous dispense de faire un pas supplémentaire pour la mettre en question. Toutes les opinions se valent, pour cette simple raison : ce sont des opinions. Comme telles, elles sont standardisées, et perdent toute leur force d'interpellation et de questionnement. Elles sont exprimées l'une après l'autre, mais toute possibilité d'une réelle communication entre elles disparaît. 

(Marina Garcés)


Que les choses continuent à "aller ainsi", voilà la catastrophe. Ce n’est pas ce qui va advenir, mais l’état de choses donné à chaque instant. 

(Walter Benjamin)

samedi 1 janvier 2022

Carnet de citations - Société N°33


 

L'essentiel de la politique aujourd'hui s'exerce contre l'existence même du peuple et non plus en son nom car ce dont il s'agit, c'est d'en finir une bonne fois pour toutes avec le peuple pour gouverner des masses sans attaches, sans consistance ni liens sociaux, des flux d'atomes humains. (Curnier)


Partons d'un constat, le plus effrayant: la vie collective est un champ de ruines jonché de cadavres de ce que l'on appelait jadis des sujets. Et où prolifère aujourd'hui le réseau hypnotique des relations. Mais une communauté ne sera jamais un réseau. Trop de relations et pas assez de rapports. (Rafanell i Orra)


Le commun est transnational, et nous avons beaucoup plus à partager, du point de vue de l’énergie politique, avec des sans-papiers qu’avec nos propres dirigeants, qui nous sont devenus non seulement étrangers, mais très clairement ennemis et traîtres à ce qui pourrait être une cause commune.

C’est bien ce communautarisme de l’entre-soi néolibéral qui est à combattre. (C. Vollaire)


Le gouvernement de l’espace devenu systémique du capital apparaît aujourd’hui sous le mode de la présentation de l’avenir à partir de l’incertitude. Le propre de la gouvernementalité néolibérale est de trouver sa justification dans un futur régi par la peur : l’anticipation du désordre dans le système qui légitime l’emprise sécuritaire sur le présent. (...) La gestion des populations par l’État au service du capitalisme est devenue un monstrueux détournement de la sollicitude en rendant intelligible la souffrance en termes de désordre. Elle transforme la résistance, la défection ou la révolte en pathologie sociale ou individuelle. (Rafanell i Orra)


La loi capitalistique, pour légitimer son entreprise de tutélarisation de l'ensemble des machines abstraites, se donne des allures de destin. (...) Toutes les lois, quelles qu'elles soient, tombent, pourraient tomber, ou devraient tomber, sous sa coupe exclusive. (Guattari)


Si vous écrivez quoi que ce soit de véridique sur les taudis de Londres, vous risquez fort que cela soit repris une semaine plus tard par une radio nazie. Mais alors, qu’attend-on de vous ? Que vous affirmiez que les taudis n’existent pas ? (Orwell - Tribune, 9 juin 1944)


Que "les femmes" voient dans chaque homme un porc déguisé et que "les hommes" voient en chaque femme une allumeuse inconséquente, assure de beaux jours au maintien de l'ordre impérial. Que "les non-blancs" voit en chaque "blanc" un raciste atavique et que chaque "Français" redoute son "remplacement" par ceux qui furent colonisés, voilà qui garantit contre tout risque d'insurrection populaire. ( Moses Dobruska)


Maintenir l'unité du monde ne se fait plus qu'au prix de l'enserrer dans une gigantesque broyeuse technologique et spirituelle. Et plus ce monde se donne pour déjà ravagé, plus il désarme toute volonté de mettre fin au ravage. ( Moses Dobruska)


La liberté d'expression porte sur la possibilité d'exprimer sans contrainte ni ostracisme un argument. (...) Il n'est pas possible de conserver à la fois la prétention démocratique et la nécessité de la censure. (...) La question rebondit magistralement lorsqu'on questionne l'émergence d'une nouvelle forme de censure qui n'est pas sans rappeler la manière dont les religions procèdent dès que l'on en laisse la possibilité. (Michel Weber)


Il faut montrer que la réponse à la crise globale systémique est bien d’ores et déjà politique et que, si aucune force ne vient entraver l’inexorable progression du capitalisme du désastre, il ne nous restera bientôt plus qu’à émettre des regrets carcéraux ou post-mortem. (M. Weber)


L’ordre dominant ne se satisfait plus d’un langage essentiellement vide et passe-partout (la traditionnelle «langue de bois»). Son lexique,comme sa manipulation savante, rendent l’appréhension de repères aléatoire et la stabilisation du récepteur (de celui à qui le message est destiné) impossible. En effet, le lexique utilisé est extrêmement pauvre et truffé d’oxymores (que peut bien vouloir dire l’expression «guerre propre»?) et de tautologies (lapalissades), tandis que sa manipulation l’apparente à ce que les psychothérapeutes nomment «discours salade» ou «diarrhée verbale »: un flux continu de concepts, tantôt implicitement évidents, tantôt explicitement obscurs. (M. Weber)