Plaisant exemple de ce que peut faire un auteur, bénéficiant d'une
indéniable réputation, quand il a su préserver une véritable liberté de
ton et d'expression. En ces sombres années (1969-1979) de l'histoire
italienne, qu'ultérieurement on appela, non sans raisons, "Les années de
plomb", Sciascia, dans ce recueil de chroniques et réflexions diverses,
présentées comme un Journal, livre sans craintes ses observations de la
vie sociale et politique de cette époque. On s'étonnera beaucoup moins
après cette lecture et l’effarante corruption de tout un pays qu'elle
dévoile, que l'Italie ait, ultérieurement, pu porter à sa tête une
personnalité aussi médiocre et affligeante que Berlusconi; il en était
fort directement le produit, l'aboutissement logique.
"C'est depuis lors que l'Italie est un pays sans
vérité. Il en a même jailli une règle : aucune vérité ne verra jamais le
jour en ce qui concerne les actes criminels ayant, même de loin,
quelque lien avec la gestion du pouvoir."
Certains, pourraient (malencontreusement) faire un lien direct avec des
événements et des figures de notre propre histoire franco-française
contemporaine; cela ne serait, bien certainement, que l'expression d'un
mauvais cauchemar. Mais rassurons-nous, dans un pays devenu "sans
vérité", il ne viendrait à l'idée d'aucun de ceux paraissant sur la
scène spectaculaire de tenter de la dire et surtout de la mettre en
œuvre; si bien que cette absence ne trouble plus personne. Car qu'est-ce
donc que le spectacle finalement, sinon l’absence de vérité dans le
vécu quotidien de tout un chacun ... Une simple question d'habitude.
"Qu'est-ce donc que l'intuition d'un écrivain ? Mettons quelque aptitude
à attendre une synthèse en omettant toute analyse, de saisir et
représenter synthétiquement, - par des états d'âme, par des symboles,
par des emblèmes, - ce que Machiavel nommait "la vérité factuelle des choses".
Est-ce bien tout ? Il faut aussi une condition pour que cette aptitude
s'exerce sur les événements contemporains, sur la masse pesante de
l'histoire quotidienne : et cette condition, c'est l'indépendance,
l'isolement, l'absence de tout lien avec chaque forme de pouvoir
constitué quel qu'il soit, l'indifférence à tout chantage économique,
idéologique, culturel, voire sentimental. "
lundi 27 avril 2015
lundi 20 avril 2015
CARNET DE CITATIONS Société 12
« L'histoire
d'un mot, ainsi retracée, permet de saisir le sens propre, sans cesse modifié
par l'usage, et de suivre le travail continu de la langue qui, partant de la
signification première, l'étend ou la restreint de siècle en siècle, suivant
les besoins de la pensée. » (Darmesteter)
« Certains
existent, les autres ne sauraient tarder » (Wolman)
« À part quelques esprits sérieux, notre époque vit au jour le jour de faits plus que d’idées, et de faits sans grandeur. Les commérages auxquels est réduite la politique actuelle, les nouvelles du monde artistique et des salons, et ce triste bilan qui sous le titre de faits divers, expose les misères, les crimes et les aberrations de chaque jour, là se borne la nourriture intellectuelle et morale du plus grand nombre. Ce n’est pas qu’elle soit vide d’enseignements ; mais la moelle n’en est pas extraite et ces faits n’offrent à ceux qui en vivent qu’un intérêt passager, pris à part de leurs conséquences et de leurs causes : le simple appétit de l’incident, l’amour de l’enfant pour le conte ; dans l’esprit comme dans le journal, ils restent sans lien, sans ordre, séparés par des tirés. On réfléchit peu ; le temps manque ; le goût surtout. La vie, consacrée tout entière à la poursuite du but personnel, immédiat, harcelée par la concurrence sociale, est si haletante ! Tout s’y produit en hâte et sous forme de compétition : l’action, la pensée. Remonter aux sources est trop long. » (André Leo)
« Dans
notre pays, nous jouissons de trois choses parmi les plus précieuses qui soient
: la liberté de parole, la liberté de conscience, et la grande prudence de ne
pas les exercer. » (Twain)
« Je ne
suis pas étonné de voir les hommes coupables, mais je suis souvent étonné de ne
pas les voir honteux. » (Swift)
« Quant au
bureaucrate pris individuellement, le but de l’État devient son but privé :
c'est la curée aux postes plus élevés, c'est le carriérisme. Tout d'abord, il
considère la vie réelle comme une matière inerte car pour lui l'esprit de cette
vie réside dans une réalité séparée et autonomisée : la bureaucratie. L’État
n'existe pour lui que sous la forme d'une multitude d'esprits bureaucratiques
figés, reliés uniquement par la subordination et l'obéissance passive. »
(Marx)
« La
bureaucratie est le matérialisme sordide que nous venons d'évoquer. En
revanche, son spiritualisme sordide apparaît dans le fait qu'elle veut tout
faire, c'est à dire faire de la volonté la causa prima, la cause première :
comme elle est vouée à l'activité et comme elle reçoit son contenu du dehors,
elle ne peut prouver son existence qu'en imposant une forme et une limite à ce
contenu. Le bureaucrate ne voit dans le monde qu'un simple objet de son activité. »
(Marx)
« Une idée
morte produit plus de fanatisme qu'une idée vivante. Disons même qu'elle seule
en produit, puisque les imbéciles, comme les corbeaux, sentent uniquement les
choses mortes. Et ils sont tant et tant à fourmiller frénétiquement sur les
choses mortes que celles-ci, parfois, semblent s'animer. » (Sciascia)
« Au
crépuscule, au lieu des coyotes, hurlaient les speakers pour nous dire comment
avoir les dents blanches et des cheveux qui brillent ... » (Rochefort)
« Ce qui
domine la "sensibilité moderne" c'est l'hyperexcitabilité (...). Sous
les spasmes, c'est l'asthénie qui règne. » (Bégout)
« Son
interlocuteur défendait une institution qui ne possédait plus qu'un simulacre
d'existence; sortie des pandectes poussiéreux, elle survivait seulement en
effet dans la tête de quelques hommes qui ont tiré de formules artificielles
les concepts avec lesquels ils ont contracté une symbiose de fantômes. »
(Wassermann)
mercredi 15 avril 2015
La culture et la domination
Heinrich Kley "Accordion"
Sans doute et de toute éternité, les
relations entre culture et domination furent empreintes d’ambigüité ; toute
domination, cherchant à s’établir dans la durée, voulant faire parure de la
culture pour dissimuler les réalités de sa désolation. Or par nature, aucune
forme artistique ne fit jamais sens qui ne fut dans son essence, critique de la
domination, dévoilement plus ou moins explicite de son obscénité et de sa
volonté criminelle.
Les relations entre ces deux pôles, en
vérité parfaitement incompatibles, furent donc sujet à de multiples
fluctuations selon les époques et en relation directe avec l’ensemble des
rapports de force caractérisant chacune de ces époques.
Pour simplifier, la domination n’eut
donc jamais d’autre choix que d’une part, les différentes formes de censure ou
de répression dissimulées sous différents prétextes, d’autre part la solution
consistant à « acheter » les artistes et leur complicité.
La première option n’eut jamais de
résultats satisfaisants qu’à court terme, ayant pour conséquence de renforcer
les résistances souterraines toujours plus difficiles à contrôler et donnant de
plus des pouvoirs en place une image peu flatteuse et terriblement dénudée.
La seconde, et tout spécialement en
notre belle modernité, sembla donc nettement plus profitable. Le fait que ce
mercantilisme culturel ait pour effet d’assécher rapidement toute
créativité (combien dure un réalisateur
de génie importé en milieu hollywoodien ?) pouvant être considéré comme un
simple effet collatéral ; et ce d’autant plus que ces « artistes » prêts à se
vendre et souvent à bas prix, semblent toujours plus nombreux à se bousculer au
portillon.
Ne peut-on constater que, par l’un de
ces renversements miraculeux dont seule est capable la domination du marché, le
seul fait de vouloir se vendre peut désormais faire de vous un «artiste» et un
« intellectuel » et ce tout à fait indépendamment d’un quelconque talent.
On comprendra mieux alors le sens, qui
était resté jusqu’à maintenant quelque peu obscur, de la revendication toute
française d’une Exception culturelle : il s’agissait en fait d’exiger
d’avoir le droit de se vendre sans honte, dès lors que l’on se proclamait
artiste ou travaillant « pour l’art ». Revendication à laquelle la domination
ne pouvait que donner son assentiment enthousiaste et promettre en retour que
tout artiste ou créateur qui ne voudrait se "vendre" n'aurait plus désormais
aucune visibilité.
Certains esprits malveillants
prétendront que dans ce mouvement, c’est l’ensemble de la culture et de la
chose artistique qui est désormais réduit à rien ; comme si l’on avait rien
sans rien !
mercredi 8 avril 2015
Carnet de citations - Poésie 3
«Or
maintenant il fait jour ! J'ai patienté et je l'ai vu venir;
Oh ! que cette voyance, ce sanctuaire soit mon verbe ! » (Friedrich Hölderlin)
Oh ! que cette voyance, ce sanctuaire soit mon verbe ! » (Friedrich Hölderlin)
« Dans
les anses bleues de mes lacs lointains
Je me reflète.
Je te vois, Inonie,
et les toques d'or de tes monts. » (Sergueï Essenine)
Je me reflète.
Je te vois, Inonie,
et les toques d'or de tes monts. » (Sergueï Essenine)
« La
surface de l'eau
semble ornée comme la soie
La pluie du printemps » (Ryokan)
semble ornée comme la soie
La pluie du printemps » (Ryokan)
« Je
suis homme qui note,
quand Amour me souffle, et comme il dicte
au cœur, je vais signifiant. » (Dante)
quand Amour me souffle, et comme il dicte
au cœur, je vais signifiant. » (Dante)
« Beaulx enfans, vous perdez la
plus
Belle rose de vo chappeau;
Mes clers pres prenans comme glus,
Se vous allez a Montpipeau
Ou a Rueil, gardez la peau :
Car, pour s'esbatre en ces deux lieux,
Cuidant que vaulsist le rappeau,
La perdit Colin de Cayeux. » (Villon)
Belle rose de vo chappeau;
Mes clers pres prenans comme glus,
Se vous allez a Montpipeau
Ou a Rueil, gardez la peau :
Car, pour s'esbatre en ces deux lieux,
Cuidant que vaulsist le rappeau,
La perdit Colin de Cayeux. » (Villon)
« En ce temps que j'ay dit
devant,
Sur le Noel, morte saison,
Que les loups se vivent de vent
Et qu'on se tient en sa maison,
Pour le frimas, près du tison ... » (Villon)
Sur le Noel, morte saison,
Que les loups se vivent de vent
Et qu'on se tient en sa maison,
Pour le frimas, près du tison ... » (Villon)
« Pourquoi mon vers est-il
privé de nouvel orgueil,
Si loin de variation et rapide changement ?
Pourquoi n'ai-je pas glissé selon la mode,
Vers les méthodes nouveau genre et les curieux arrangements ?
(...)
Tout mon but est vêtir à nouveau les vieux mots,
Et dépenser encor le dépensé déjà :
Et comme le soleil chaque jour jeune et vieux,
ainsi mon amour dit ce qui est dit déjà. » (Shakespeare)
Si loin de variation et rapide changement ?
Pourquoi n'ai-je pas glissé selon la mode,
Vers les méthodes nouveau genre et les curieux arrangements ?
(...)
Tout mon but est vêtir à nouveau les vieux mots,
Et dépenser encor le dépensé déjà :
Et comme le soleil chaque jour jeune et vieux,
ainsi mon amour dit ce qui est dit déjà. » (Shakespeare)
« Hélas ! mon premier chant,
déjà un chant triste ...
Le ciel m'envoie une brise compatissante pour me tenir compagnie. » (Du Fu)
Le ciel m'envoie une brise compatissante pour me tenir compagnie. » (Du Fu)
« Dans la nuit profonde, je
suis sous l'auvent du sud
la lune brillante éclaire mes genoux
un coup de vent semble renverser la Voie lactée » (Du Fu)
la lune brillante éclaire mes genoux
un coup de vent semble renverser la Voie lactée » (Du Fu)
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