lundi 27 avril 2015

De la vérité factuelle des choses

Plaisant exemple de ce que peut faire un auteur, bénéficiant d'une indéniable réputation, quand il a su préserver une véritable liberté de ton et d'expression. En ces sombres années (1969-1979) de l'histoire italienne, qu'ultérieurement on appela, non sans raisons, "Les années de plomb", Sciascia, dans ce recueil de chroniques et réflexions diverses, présentées comme un Journal, livre sans craintes ses observations de la vie sociale et politique de cette époque. On s'étonnera beaucoup moins après cette lecture et l’effarante corruption de tout un pays qu'elle dévoile, que l'Italie ait, ultérieurement, pu porter à sa tête une personnalité aussi médiocre et affligeante que Berlusconi; il en était fort directement le produit, l'aboutissement logique.
"C'est depuis lors que l'Italie est un pays sans vérité. Il en a même jailli une règle : aucune vérité ne verra jamais le jour en ce qui concerne les actes criminels ayant, même de loin, quelque lien avec la gestion du pouvoir."
Certains, pourraient (malencontreusement) faire un lien direct avec des événements et des figures de notre propre histoire franco-française contemporaine; cela ne serait, bien certainement, que l'expression d'un mauvais cauchemar. Mais rassurons-nous, dans un pays devenu "sans vérité", il ne viendrait à l'idée d'aucun de ceux paraissant sur la scène spectaculaire de tenter de la dire et surtout de la mettre en œuvre; si bien que cette absence ne trouble plus personne. Car qu'est-ce donc que le spectacle finalement, sinon l’absence de vérité dans le vécu quotidien de tout un chacun ... Une simple question d'habitude.
"Qu'est-ce donc que l'intuition d'un écrivain ? Mettons quelque aptitude à attendre une synthèse en omettant toute analyse, de saisir et représenter synthétiquement, - par des états d'âme, par des symboles, par des emblèmes, - ce que Machiavel nommait "la vérité factuelle des choses". Est-ce bien tout ? Il faut aussi une condition pour que cette aptitude s'exerce sur les événements contemporains, sur la masse pesante de l'histoire quotidienne : et cette condition, c'est l'indépendance, l'isolement, l'absence de tout lien avec chaque forme de pouvoir constitué quel qu'il soit, l'indifférence à tout chantage économique, idéologique, culturel, voire sentimental. "

lundi 20 avril 2015

CARNET DE CITATIONS Société 12




« L'histoire d'un mot, ainsi retracée, permet de saisir le sens propre, sans cesse modifié par l'usage, et de suivre le travail continu de la langue qui, partant de la signification première, l'étend ou la restreint de siècle en siècle, suivant les besoins de la pensée. » (Darmesteter)

« Certains existent, les autres ne sauraient tarder » (Wolman)

« À part quelques esprits sérieux, notre époque vit au jour le jour de faits plus que d’idées, et de faits sans grandeur. Les commérages auxquels est réduite la politique actuelle, les nouvelles du monde artistique et des salons, et ce triste bilan qui sous le titre de faits divers, expose les misères, les crimes et les aberrations de chaque jour, là se borne la nourriture intellectuelle et morale du plus grand nombre. Ce n’est pas qu’elle soit vide d’enseignements ; mais la moelle n’en est pas extraite et ces faits n’offrent à ceux qui en vivent qu’un intérêt passager, pris à part de leurs conséquences et de leurs causes : le simple appétit de l’incident, l’amour de l’enfant pour le conte ; dans l’esprit comme dans le journal, ils restent sans lien, sans ordre, séparés par des tirés. On réfléchit peu ; le temps manque ; le goût surtout. La vie, consacrée tout entière à la poursuite du but personnel, immédiat, harcelée par la concurrence sociale, est si haletante ! Tout s’y produit en hâte et sous forme de compétition : l’action, la pensée. Remonter aux sources est trop long. » (André Leo)

« Dans notre pays, nous jouissons de trois choses parmi les plus précieuses qui soient : la liberté de parole, la liberté de conscience, et la grande prudence de ne pas les exercer. » (Twain)

« Je ne suis pas étonné de voir les hommes coupables, mais je suis souvent étonné de ne pas les voir honteux. » (Swift)

« Quant au bureaucrate pris individuellement, le but de l’État devient son but privé : c'est la curée aux postes plus élevés, c'est le carriérisme. Tout d'abord, il considère la vie réelle comme une matière inerte car pour lui l'esprit de cette vie réside dans une réalité séparée et autonomisée : la bureaucratie. L’État n'existe pour lui que sous la forme d'une multitude d'esprits bureaucratiques figés, reliés uniquement par la subordination et l'obéissance passive. » (Marx)

« La bureaucratie est le matérialisme sordide que nous venons d'évoquer. En revanche, son spiritualisme sordide apparaît dans le fait qu'elle veut tout faire, c'est à dire faire de la volonté la causa prima, la cause première : comme elle est vouée à l'activité et comme elle reçoit son contenu du dehors, elle ne peut prouver son existence qu'en imposant une forme et une limite à ce contenu. Le bureaucrate ne voit dans le monde qu'un simple objet de son activité. » (Marx)

« Une idée morte produit plus de fanatisme qu'une idée vivante. Disons même qu'elle seule en produit, puisque les imbéciles, comme les corbeaux, sentent uniquement les choses mortes. Et ils sont tant et tant à fourmiller frénétiquement sur les choses mortes que celles-ci, parfois, semblent s'animer. » (Sciascia)

« Au crépuscule, au lieu des coyotes, hurlaient les speakers pour nous dire comment avoir les dents blanches et des cheveux qui brillent ... » (Rochefort)

« Ce qui domine la "sensibilité moderne" c'est l'hyperexcitabilité (...). Sous les spasmes, c'est l'asthénie qui règne. » (Bégout)

« Son interlocuteur défendait une institution qui ne possédait plus qu'un simulacre d'existence; sortie des pandectes poussiéreux, elle survivait seulement en effet dans la tête de quelques hommes qui ont tiré de formules artificielles les concepts avec lesquels ils ont contracté une symbiose de fantômes. » (Wassermann)

mercredi 15 avril 2015

La culture et la domination

                                                       Heinrich Kley "Accordion"




Sans doute et de toute éternité, les relations entre culture et domination furent empreintes d’ambigüité ; toute domination, cherchant à s’établir dans la durée, voulant faire parure de la culture pour dissimuler les réalités de sa désolation. Or par nature, aucune forme artistique ne fit jamais sens qui ne fut dans son essence, critique de la domination, dévoilement plus ou moins explicite de son obscénité et de sa volonté criminelle.

Les relations entre ces deux pôles, en vérité parfaitement incompatibles, furent donc sujet à de multiples fluctuations selon les époques et en relation directe avec l’ensemble des rapports de force caractérisant chacune de ces époques.

Pour simplifier, la domination n’eut donc jamais d’autre choix que d’une part, les différentes formes de censure ou de répression dissimulées sous différents prétextes, d’autre part la solution consistant à « acheter » les artistes et leur complicité.

La première option n’eut jamais de résultats satisfaisants qu’à court terme, ayant pour conséquence de renforcer les résistances souterraines toujours plus difficiles à contrôler et donnant de plus des pouvoirs en place une image peu flatteuse et terriblement dénudée.

La seconde, et tout spécialement en notre belle modernité, sembla donc nettement plus profitable. Le fait que ce mercantilisme culturel ait pour effet d’assécher rapidement toute créativité  (combien dure un réalisateur de génie importé en milieu hollywoodien ?) pouvant être considéré comme un simple effet collatéral ; et ce d’autant plus que ces « artistes » prêts à se vendre et souvent à bas prix, semblent toujours plus nombreux à se bousculer au portillon.

Ne peut-on constater que, par l’un de ces renversements miraculeux dont seule est capable la domination du marché, le seul fait de vouloir se vendre peut désormais faire de vous un «artiste» et un « intellectuel » et ce tout à fait indépendamment d’un quelconque talent.

On comprendra mieux alors le sens, qui était resté jusqu’à maintenant quelque peu obscur, de la revendication toute française d’une Exception culturelle  : il s’agissait en fait d’exiger d’avoir le droit de se vendre sans honte, dès lors que l’on se proclamait artiste ou travaillant « pour l’art ». Revendication à laquelle la domination ne pouvait que donner son assentiment enthousiaste et promettre en retour que tout artiste ou créateur qui ne voudrait se "vendre" n'aurait plus désormais aucune visibilité.
Certains esprits malveillants prétendront que dans ce mouvement, c’est l’ensemble de la culture et de la chose artistique qui est désormais réduit à rien ; comme si l’on avait rien sans rien !

mercredi 8 avril 2015

Carnet de citations - Poésie 3



«Or maintenant il fait jour ! J'ai patienté et je l'ai vu venir;
Oh ! que cette voyance, ce sanctuaire soit mon verbe ! »  (Friedrich Hölderlin)

« Dans les anses bleues de mes lacs lointains
Je me reflète.
Je te vois, Inonie,
et les toques d'or de tes monts. »  (Sergueï Essenine)

« La surface de l'eau
semble ornée comme la soie
La pluie du printemps » (Ryokan)

« Je suis homme qui note,
quand Amour me souffle, et comme il dicte
au cœur, je vais signifiant. » (Dante)



« Beaulx enfans, vous perdez la plus
Belle rose de vo chappeau;
Mes clers pres prenans comme glus,
Se vous allez a Montpipeau
Ou a Rueil, gardez la peau :
Car, pour s'esbatre en ces deux lieux,
Cuidant que vaulsist le rappeau,
La perdit Colin de Cayeux. »   (Villon)

« En ce temps que j'ay dit devant,
Sur le Noel, morte saison,
Que les loups se vivent de vent
Et qu'on se tient en sa maison,
Pour le frimas, près du tison ... » (Villon)

« Pourquoi mon vers est-il privé de nouvel orgueil,
Si loin de variation et rapide changement ?
Pourquoi n'ai-je pas glissé selon la mode,
Vers les méthodes nouveau genre et les curieux arrangements ?
(...)
Tout mon but est vêtir à nouveau les vieux mots,
Et dépenser encor le dépensé déjà :
Et comme le soleil chaque jour jeune et vieux,
ainsi mon amour dit ce qui est dit déjà. »    (Shakespeare)

« Hélas ! mon premier chant, déjà un chant triste ...
Le ciel m'envoie une brise compatissante pour me tenir compagnie. » (Du Fu)

« Dans la nuit profonde, je suis sous l'auvent du sud
la lune brillante éclaire mes genoux
un coup de vent semble renverser la Voie lactée » (Du Fu)