samedi 11 décembre 2021

Carnet de citations - Humour 4

 

« Chaque forme de comique peut se retourner et dévoiler sa face sérieuse. Derrière les rires les plus tapageurs se dissimulent les larmes les plus âcres. Sous chaque plaisanterie s'entendent les gémissements d'un spectre. » (Soseki)


« Balaganov, je vois que vous êtes une poire. Ne vous fâchez pas. Je désire seulement vous montrer la place que vous occupez sous le soleil. » (Ilf et Petrov)


« Les écrivains exagèrent lorsqu'ils tuent les acteurs de leurs romans dans une catastrophe, un incendie ou un crime. Ils ne croient donc pas à la lente asphyxie des jours monotones. » (Lascano-Tegui)


« La pauvreté et le zèle sont les deux meules d’un moulin. Il est dangereux de faire le troisième dans cette sorte de sandwich. » (Bierce)


« Dans les livres français, il se familiarisa avec l'étonnante mécanique de l'amour. Il découvrit que les mystères étaient plus proches qu'il ne l'eut deviné. L'amour était un incessant et voluptueux combat, agrémenté de ruses et de trahisons; à en juger par une épigramme, il avait même ses invalides, lesquels passaient au service de Bacchus. Mais chez Barkov, l'amour était une sauvage empoignade, avec croche-pieds, cris et menaces, et les hommes qu'il harassait, pareils à des chevaux fourbus, tournaient en rond, plein de sueur et d'écume. » (Tynianov)


« LA PASSION CONSIDÉRÉE COMME COURSE DE CÔTE.


Barrabas, engagé, déclara forfait.
Le starter Pilate, tirant son chronomètre à eau ou clepsydre, (...) donna le départ.
Jésus démarra à toute allure.
En ce temps-là, l’usage était (…) de flageller au départ les sprinters cyclistes (…)
Le fouet est à la fois un stimulant et un massage hygiénique. Donc Jésus, très en forme, démarra, mais l’accident de pneu arriva tout de suite. Un semis d’épines cribla tout le pourtour de sa roue avant. (...)
Les deux larrons, qui s’entendaient comme en foire, prirent de l’avance. (...)
Mais il convient que nous relations préalablement les pelles. Et d’abord décrivons en quelques mots la machine.
Le cadre est d’invention relativement récente. C’est en 1890 que l’on vit les premières bicyclettes à cadre. Auparavant, le corps de la machine se composait de deux tubes brasés perpendiculairement l’un sur l’autre. C’est ce qu’on appelait la bicyclette à corps droit ou à croix. Donc Jésus, après l’accident de pneumatiques, monta la côte à pied, prenant sur son épaule son cadre ou si l’on veut sa croix.
Des gravures du temps reproduisent cette scène (…)
Ils représentèrent Jésus les deux mains écartés sur son guidon, et notons à ce propos que Jésus cyclait couché sur le dos, ce qui avait pour but de diminuer la résistance de l’air.
(...) Nous abrégerons le récit de la course elle-même, racontée tout au long dans des ouvrages spéciaux, et exposée par la sculpture et la peinture dans des monuments « ad hoc »
Dans la côte assez dure du Golgotha, il y a quatorze virages. C’est au troisième que Jésus ramassa la première pelle. Sa mère, aux tribunes s’alarma.
Le bon entraîneur Simon de Cyrène porta sa machine. Jésus, quoique ne portant rien, transpira, (…) une spectatrice lui essuya le visage.
La seconde pelle eut lieu au septième virage, sur du pavé gras. Jésus dérapa pour la troisième fois, sur un rail, au onzième,
Les demis-mondaines d’Israël agitaient leurs mouchoirs au huitième.
Le déplorable accident que l’on sait se place au douzième virage. Jésus était à ce moment deadheat avec les deux larrons. On sait aussi qu’il continua la course en aviateur… mais ceci sort de notre sujet.
(Jarry)

L'image est un dessin de Heinrich Kley

jeudi 11 novembre 2021

Carnet de citations - Société N°32

 

 


Il faut éviter avant tout de fixer de nouveau la "société" comme abstraction vis-à-vis de l'individu. » (Marx)


« Sur tous les sujets, en fait, l’expertise est en faillite. Et elle l’est parce que, privée de toute assise historico-critique, il ne lui reste pour expertiser que sa morale et sa subjectivité. Convoquée par le pouvoir et ses succursales de légitimation – les médias de préfecture –, la voilà donc qui défend, plus souvent qu’elle ne critique, une République supposément malmenée par l’ « islamo-gauchisme», le « séparatisme » ou la « non-mixité ». Et l’expertise se plie d’autant plus aisément à l’exercice que, en sus des subsides non négligeables qu’elle en tire, on n’exige d’elle que d’être médiocrement d’extrême centre, c’est-à-dire d’un néant conceptuel qui n’a d’extrême que sa bêtise et de centriste que le rôle pivot qu’elle joue dans la montée en puissance des thématiques de l’autoritarisme républicain en toutes matières. Sur le modèle de l’expertise économique, radicalement néo-libérale depuis des lustres – les noms viennent immédiatement en bouche en y laissant un sale goût –, l’expertise générale à prétention sociologique se révèle si incapable, elle, d’expliquer le moindre phénomène social éruptif qu’on n’en retient que sa fonction légitimante des pouvoirs et ses commentaires stéréotypés. Car, formé en série, l’esprit n’a pas plus d’esprit que de corps. Comme son discours, il est d’extrême centre, soit de nulle part, d’un lieu vide d’histoire que l’histoire en marche n’aura aucun mal à combler.
(...) En clair, si l’on peut dire, tout tient de la même compote dans ce monde approximatif où l’expertise demeure l’une des pièces maîtresses de l’organisation du spectacle. »
(F. Gomez)


« Si l'on reprend la formule des carences de l'"offre programmatique", force est de constater que dans le système de délégation permanente de pouvoir du capitalisme contemporain, le choix se trouve de plus en plus réduit à des nuances morales ou conceptuelles d'un même projet politique de nature néolibérale. L'insécurité, et la peur qui lui est indissociable, sont devenues le pivot du programme commun de toute politique. Le sentiment d'insécurité sociale engendré et aggravé par la crise - l'appauvrissement des classes exploitées, l'implosion des anciennes communautés de classe, l'intensification des conditions d'exploitation, la disparition des repères sociaux - est progressivement amalgamé à l'insécurité d'un état de guerre généralisée, au bénéfice d'un "État d'exception démocratique". Dans la réponse autoritaire à la crise de la représentation, la confiance dans les représentants auxquels on délègue le pouvoir est remplacée par la confiance dans les capacités répressives du pouvoir. » (Charles Reeve)


« Ainsi les formes classiques de la représentation sont-elles la mise en œuvre méthodique, sans cesse plus évidente aujourd'hui, de l'absence effective du représenté. » (Baschet)


« L’esprit de l’entreprise, sans autre médiation, prolonge ainsi ses ravages avec ses nouvelles formes de subjectivation sociale dont ce que certains ont appelé « l’entreprise de soi ». Et tant pis pour ceux qui ne peuvent, ou ne veulent pas, acquérir une existence « sociale » à partir de l’injonction à s’inscrire dans des « projets de vie » intégralement soumis aux instances supérieures de l’économie. Le « droit à la négligence », qui existait pourtant déjà si bien dans le cadre des institutions de l’État social, aura débordé largement celles-ci porté par le fanatisme religieux de l’État du capitalisme. L’indifférence, le mépris, l’humiliation se sont depuis érigés en principes de gouvernement. Il ne s’agit plus « de faire vivre », comme nous l’avait appris la généalogie du biopouvoir, ou de laisser mourir. Mais d’ignorer. (...)
Et c’est ainsi qu’il est aujourd’hui possible d’ignorer les noyés dans les flots qui entourent la forteresse européenne, les existences harassées dans les bidonvilles à Paris, les morts solitaires dans des EHPAD lors d’une vague épidémique. » (Josep Rafannel i Orra)


« On aurait tort de penser qu'une telle déroute marque le point final de la spectaculaire régression qui caractérise la vie politique des pays dominants du monde mondialisé. Elle ne constitue en réalité qu'une première étape, si consternante soit-elle, d'une forme nouvelle de soumission au pouvoir plus grande encore qui se prépare. Et si cette étape est en tout point effrayante, c'est parce qu'elle outrepasse déjà notre propre imaginaire de la déroute, toute anticipation, même la plus alarmiste, de la déchéance contemporaine du politique. » (Jean-Paul Curnier)

mercredi 4 août 2021

La fabrique de la servitude


 

Ainsi, il aura suffit d’un prétexte sanitaire aux objectifs pour le moins douteux pour nous précipiter dans une ère du contrôle général des populations et de leur asservissement à la raison d’État. Raison d’État qu’il serait désormais bien difficile de distinguer de la raison du capitalisme mondialisé.

Une situation difficilement imaginable dans un pays comme la France il y a encore quelques décennies mais que deux circonstances bien particulières laissaient présager depuis quelque temps. A savoir la corrélation entre la destruction systématique des liens sociaux entreprise par le capitalisme en ces mêmes dernières décennies et sa mise en œuvre de technologies bien particulières ayant pour effet principal la généralisation de cette destruction. Après s’être présentées très habilement, dans un premier temps, comme services nouveaux et facilités aux personnes, ces technologies se sont rapidement imposées dans un second temps comme « indispensables », puis finalement comme quasiment obligatoires par l’effet de marginalisation automatique de ceux qui s’y refuseraient.

Certes, aucune société véritable et vivante ne se serait engagée en un tel processus et il a fallu préalablement que cette société s’étiole et se meure en devenant cette Société du spectacle que le capitalisme a commencé à nous concocter il y a bientôt un siècle. Rappelons pour l’occasion que le Spectacle, pour chaque être humain, est ce reniement permanent de lui-même, par lequel il essaye de devenir marchandise pour pouvoir complaire à un monde qui désormais ne reconnaît plus rien d'autre.
Mais pour la domination, le spectacle est l'instrument qui permet de contraindre à cette misère grâce à l'Économie politique devenant "idéologie matérialisée".
La conséquence la plus grave de la domination spectaculaire-marchande pour notre réalité humaine, celle que tout le monde ne peut que constater aujourd’hui (souvent sans en identifier la source), fut sans aucun doute pour finir la séparation généralisée des individus. Car réduits par l’économie politique à se comporter eux-mêmes comme des marchandises particulières, ces individus ont du en adopter la logique centrale : la concurrence généralisée.

Et c’est pourquoi, face au dictât de la représentation étatique du capitalisme, la plupart se retrouvent désormais bien seuls et sans autre choix que d’obtempérer aux ordres pour simplement pouvoir se donner l’illusion de continuer à vivre. Puis de trouver, avec l’aide aimable et intéressée des médias officiels, les justificatifs à ce renoncement. Puis, en cette pseudo-société de la séparation généralisée, de l’égotisme institutionnalisé, de reprocher absurdement aux réticents à la servitude un manque de solidarité.

Jamais encore nous n’avions été confrontés à un tel degré à ce qu’un auteur d’outre-atlantique appela en son temps la fabrique du consentement ; qu’il serait plus juste de désigner tout simplement désormais comme la fabrique de la servitude.

A plus ou moins court terme, c’est l’ensemble des zones géographiques « modernisées » selon les critères spécifiques du capitalisme contemporain (coucou la Chine) et donc l’ensemble des populations qui voudront continuer à y demeurer qui devront se plier à ces nouvelles règles. Non pas temporairement comme certains veulent faire mine de le croire mais sous un mode habituel qui n’ira qu’en se renforçant. En ces circonstances là, la seule alternative pour les réfractaires, les mauvais citoyens de cette cité là, consistera à migrer dans les zones d’abandons du capitalisme, celles-la même que les effets de son incessante « croissance » ont ruiné de manière quasi définitive et que les conséquences climatiques de cette même croissance aveugle vont finir d’achever. L’accueil, en prime, à l’image de celui dont à fait preuve l’entité européenne ces dernières années risque, subsidiairement, d’y être peu enthousiaste.

L’époque dans laquelle nous rentrons a ceci de particulier que tous ceux qui espèrent en un autre monde où la solidarité et l’appartenance à un monde commun feraient enfin sens, ou l’égalité ne serait pas un vain mot, où chacun aurait la possibilité d’épanouir ses talents particuliers en prenant place dans la communauté, bref qui espèrent encore en un monde humain, ne peuvent plus se permettre d’attendre.

C’est dans l’immédiat des mois à venir, au mieux d’une poignée d’années, que les choses vont se jouer. Soit nous trouvons le moyen de nous débarrasser du monde abominable auquel est en train d’aboutir le capitalisme et ses affidés, soit l’avenir n’aura plus, pour nous et nos enfants, aucun sens. Chacun se doit donc de faire front et de réunir toutes ses ressources et son énergie avec ceux qu’il reconnaît comme ses semblables. Tenter l’impossible est bien désormais devenu le plus raisonnable.


Stéka, 3 août 2021

mardi 11 mai 2021

Notes pour l'Écologie Sociale et le Communalisme


 

« Le saut qualitatif du refus, partout nécessaire, que constituerait le choix de poser hardiment les problèmes de la vie réelle en affirmant sans ambages qu'ils sont insolubles dans le cadre social existant, ce choix parait hors de portée des conflits du moment, non parce que la possibilité en aurait été ignorée - la question sociale affleure dans toutes les conversations autour des nuisances, et la question des nuisances surgit dans toutes les conversations - mais plus simplement, parce qu'il n'a jamais été fait. Il n'y a pas de précédent et c'est ce qui manque. Mais plus rien ne manque pour que se crée un précédent. » (Encyclopédie des  Nuisances)

Je souhaiterais revenir ici sur les notions d'individu, d'individualité, d'individualisme car une grande confusion règne autour de ces termes; avec en arrière plan, le problème de la liberté individuelle, de la conscience individuelle.

Il ne semble pas abusif de concevoir l'histoire elle-même comme un long cheminement vers la liberté individuelle et la conscience qui doit l'accompagner. Mais tout le monde aura remarqué que quelques complications sont arrivées en cours de route. Certains, dans leur empressement vers cette liberté si souhaitable, ont trouvé plus commode et plus rapide de la construire aux dépens de celles des autres sans plus se préoccuper d'une conscience quelconque. Ce n'est évidement pas le lieu de faire l'historique des avatars successifs de cette forme de liberté là en ses multiples variantes culturelles mais il me semble intéressant de s’arrêter quelque peu sur la dernière, probablement la plus monstrueuse de toute puisqu'elle est parvenue à s'universaliser. Je veux bien sûr parler de la liberté du marché. Alias le capitalisme, alias la société du spectacle, alias le libéralisme, également désigné depuis quelque temps comme le néo-libéralisme. Mais peu importe finalement puisque le socle en est le même. Un socle construit autour d'une idéologie bien particulière affirmant l'incurable égoïsme de l'individu et désignant cet égoïsme comme étant le propre et le noyau de la nature humaine. Et c’est donc au nom de cette liberté là que se sont construits et renforcés continuellement dans les derniers siècles les différents éléments constitutifs de notre servitude contemporaine : l’État et sa bureaucratie, la violence du capital avec le travail, l’argent, les inégalités croissantes et au bout la séparation généralisée. Servitude qui n’a fait que s’accélérer dans les dernières décennies par le biais d’une technologie dévastatrice entièrement dévouée à la prédominance totalitaire du marché comme unique régulateur.

Que notre servitude contemporaine se soit construite au nom d’une soi-disant liberté individuelle, voilà qui ne peut que laisser songeur. Mais revenons à ce désir de liberté individuelle originel et à la conscience qui devrait l’accompagner et s’est visiblement perdue en route. Car tous ceux qui ont su garder quelque ouverture vers cette conscience là qui, le plus souvent, passe par le chemin du sensible - et ils sont malgré tout encore assez nombreux - savent que cette pseudo-liberté que l’on veut leur vendre, à prix fort, ne ressemble en rien à celle à laquelle ils aspirent. La destruction du lien social, consubstantielle à la nature même du capitalisme, a en effet pour conséquence de nous priver de l’essentiel de ce qui peut donner sens à la liberté et à la vie, à savoir la possibilité de prendre place dans un monde commun, soucieux de l’intérêt général dont en finalité dépendra toujours le nôtre.

« Ce qui s'est produit dans la modernité ou ce que la modernité a produit, c'est la "rupture du lien de l'homme et du monde", c'est, pour l'homme, "une perte du monde". Une "perte du monde" : voilà ce qui me parait être le sens profond et authentique du concept d'aliénation. (…) Si le corps social est à ce point docile et soumis, c'est parce qu'il a été dépossédé de tout moyen lui permettant d'exercer une maîtrise et de déployer une puissance propre. Or cette dépossession des conditions de l'exercice d'une puissance propre est l'effet même des dispositifs en tant qu'ils produisent de la subjectivité : en tant qu'ils engendrent des processus de subjectivation, les dispositifs produisent des êtres qui sont sujets non pas seulement dans la mesure où ils sont assujettis, mais d'abord dans la mesure où ils sont des subjectivités abstraites, séparées, coupées des lieux, des milieux, des moyens et des conditions sans lesquels ils ne peuvent plus déployer aucune puissance d'agir propre, ni exercer aucune maîtrise active de leur propre vie. » (Fischbach - « Sans objet »)

La question qui devrait alors se poser à tous, c’est comment pouvons-nous reprendre place dans ce monde commun, en reconstruire la réalité, à partir de ces individualités tronquées et sans véritable conscience qu’a produit le capitalisme. Individualités si bien réduites qu’elles ont déjà le plus grand mal à envisager de pouvoir se remettre en cause sans que cela provoque l’écroulement immédiat de ce qu’elles considèrent comme étant leur identité propre. C’est pourtant à travers ces identités péniblement construites, le plus souvent en reniant tout ce qui pourrait donner sens à nos vies, que le monde aliéné du capitalisme nous possède ; qu’il détermine une grande part de nos comportements, de nos choix, de nos impulsions quotidiennes de tout ordre.

L’individualité produite dans un monde régit par la logique marchande est elle-même un produit, une sorte de marchandise particulière qui comme toute marchandise est appelée à prendre place sur le marché, est amenée à devoir se vendre. Le système éducatif en son ensemble a du lui-même se plier progressivement à cette malheureuse exigence : devoir produire des marchandises compétitives. Et la famille, lieu originel de la formation de l’individu, a suivi par son empressement à promouvoir la « réussite » de ses rejetonnes et rejetons sans trop se préoccuper des sortes de vie auxquelles cela les destinait. Sans même parler du fait que cette compétition déterminée par la froide logique de capitalisme ne peut que mener le plus grand nombre à des impasses.

Replaçons-nous maintenant dans la perspective du projet communaliste – projet qui ne peut s’envisager sans qu’il soit accompagné par l’établissement général d’une démocratie directe. De multiples assemblées prendraient place partout sur le territoire, devenant de fait les organes premiers du débat démocratique et les lieux où seraient prises l’essentiel des décisions. Inutile de préciser qu’une telle possibilité ne s’ouvrira réellement que consécutivement à une période révolutionnaire ayant mi à bas et destitué les principaux organes structurels du capitalisme. Toutefois, même en envisageant le plus positivement possible ces circonstances et qu’aient été donc abattus les instruments les plus évidents permettant la domination et la perpétuation de ce qui s’y oppose, nous devrons faire face lucidement à l’un de ses prolongements des plus insidieux, le capitalisme en nous-même.

A des degrés divers, avec de nombreuses variantes, le capitalisme a été le moule de ce que nous appelons nos individualités. Il nous faudra certainement du temps, ne serait-ce que pour retrouver l’usage d’une liberté et d’une conscience individuelle en mesure de prendre place dans le commun et pour retrouver également une dynamique de la confiance en l’autre au niveau de cette forme sociale et politique entièrement renouvelée que se doit d’être le communalisme.

Il est plus facile, certes, de nier ce problème, de s’aveugler sur son omniprésence dans notre quotidienneté même, de refuser de voir ce que le capitalisme a fait de nos subjectivités. Cet aveuglement ne résout pourtant aucun problème, nous empêche même de les voir arriver. Ainsi, dans ce cadre là, les tentatives de certains d’instaurer ou de réinstaurer un pouvoir sur les autres perdureront, la passivité du plus grand nombre continuera de même à peser sur les dynamiques de changement, la difficulté pour beaucoup à prendre place ne disparaîtra pas. Car avant toute chose et prioritairement, il nous faut sortir de cette impasse sociétale et existentielle que constitue le capitalisme, retrouver le cours d’une histoire réelle où chacun aura effectivement sa place et trouvera du sens à l’occuper ; retrouver ainsi la maîtrise de nos vies dont nous avons été dépossédés. Ce n’est qu’en nous libérant historiquement du capitalisme que nous nous libérerons également des cohortes d’aliénations diverses qu’il a produit en chaque individu.

L’écologie sociale ne peut se passer de faire le bilan de ce à quoi elle est confrontée en termes de réalité sociale ; c’est la moindre des choses si elle veut être prise au sérieux. Renoncer au monde illusoire du capitalisme et de son outil étatique, c’est aussi renoncer à un monde qui a besoin d’illusions. La première de ces illusions consiste à croire que nous pourrions instantanément retrouver des individus libres et conscients, pleinement autonomes et en mesure de s’insérer et de prendre place dans une histoire humaine renouvelée. La seconde, illustrée abondamment par l’histoire et de manière assez sinistre, serait de croire qu’une avant-garde éclairée pourrait temporairement prendre le relais. La démocratie directe devra donc très rapidement s’imposer comme unique source d’un pouvoir qui ne devra pouvoir être contourné.

La démocratie directe des assemblées est le moyen, non le but, pour mettre un terme aux inégalités existantes, d’une part en permettant à chacun de pouvoir progressivement y prendre place réellement, d’autre part en faisant tout le nécessaire pour que personne ne puisse s’emparer de ce pouvoir à son profit. Pour se faire et abolir les classes sociales, elle devra au plus vite communaliser l’ensemble des moyens de production et démarchandiser la force de travail tout en sortant de la vision productiviste du capitalisme.

C’est pourquoi la plus grande illusion est certainement de croire que nous pourrions accéder à une forme d’organisation sociale communaliste pérenne sans en finir avec le capitalisme non seulement comme système de domination global mais aussi comme lieu privilégié de l’aliénation de l’individu.

Un premier constat, il nous faut donc penser le communalisme sous deux niveaux :

- La façon dont il peut commencer à prendre place, de manière diffuse, sous la domination étatico-capitaliste,

- Ce que pourrait-être une société communaliste débarrassée de cette domination.

Cette dualité de l’approche est en elle-même problématique parce que source de confusions diverses et souvent d’incompréhensions et de malentendus.

Il y a donc d’un coté ce qu’il est possible de commencer à mettre en œuvre sur des terrains et dans des cadres eux-mêmes divers (la ville, la campagne) – de l’autre, ce que nous souhaiterions pouvoir atteindre une fois débarrassés des formes partout présentes de la domination.


Malgré l’apparente simplicité de ce constat, bien peu en mesurent toutes les conséquences pratiques et psychologiques. Certains voulant, au nom d’un « réalisme » revendiqué, utiliser tous les moyens disponibles qui s’offrent à eux dans l’actuel cadre sociétal – d’autres ne voulant pas s’écarter de l’idéal visé et se refusant à des compromis jugés dangereux en leurs aboutissements.

Cette tension est au cœur de toutes les expériences actuelles et exige la plus grande lucidité à son égard. Il serait dommage toutefois de la voir comme pure négativité puisque les deux approches ont leur lieu de légitimité.

Cela fait bien sur émerger les questions de stratégie qui doivent pleinement trouver leurs places dans les débats démocratiques internes pour que chacun sache bien vers quoi il déploie ses efforts. Le « cela va de soi » est absolument à éviter en ce domaine ainsi que la culture du secret qui a pour effet principal de faire apparaître de nouvelles hiérarchies.



Cela fait également émerger la question du politique et la recherche permanente, jamais acquise, d’une dynamique effective, à l’intérieur d’un groupe, d’une assemblée délibérative.

L’une des pires erreurs est de vouloir à tout prix maintenir l’illusion d’une harmonie permanente d’un groupe et donc de tenter de mettre « sous le manteau » les oppositions et divergences qui peuvent y naître. Certaines formes conflictuelles sont intrinsèques au principe même de la démocratie, lui sont même nécessaires pour maintenir sa dynamique. Il faut donc ne pas avoir peur de s’y confronter pour pouvoir en faire émerger la nature et se mettre ainsi en mesure de pouvoir les dépasser et les résoudre. En refusant également de s’y enliser car certaines contradictions ne trouveront leur résolution que dans la reprise du cours effectif d’une histoire se libérant du carcan capitaliste.


Nous sommes ce que nous vivons. Et ce que nous avons vécu tous, chacun à notre manière, c’est la barbarie des rapports sociaux à l’intérieur d’une société profondément corrompue ; le mensonge, les logiques concurrentiels, la tentation de vouloir supplanter les autres, les tourments narcissiques, l’acceptation passive d’inégalités de condition parfaitement injustifiables. Aucun d’entre nous n’en est totalement indemne. Et chacun d’entre nous porte donc, plus ou moins consciemment, son lot d’aliénations diverses dont il faut apprendre à se débarrasser si nous voulons accéder à une autre manière de vivre.

Le Communalisme ne peut se limiter à n’être qu’un cadre sociétal différent en sa forme; il se doit d’être effectivement une autre manière de vivre en mesure de nous transformer en des êtres humains dignes de ce nom et d’ouvrir à chacun toutes ses potentialités créatives avec le désir de les offrir à tous.


Steka



dimanche 3 janvier 2021

CARNET DE CITATIONS : HISTOIRE/HISTORIOSOPHIE N° 22

 

"Le capitalisme est probablement le premier exemple d'un culte qui n'est pas expiatoire mais culpabilisant. Ce système religieux est entraîné ici même dans un mouvement monstrueux. Une conscience monstrueusement coupable qui ne sait pas expier se saisit du culte, non pas afin d'expier en lui cette culpabilité mais d'en faire une culpabilité universelle, d'en saturer la conscience (...). Il tient à l'essence même de ce mouvement religieux qu'est le capitalisme de persévérer jusqu'à la fin (...) , jusqu'à ce que soit atteint un état universel de désespoir. L'inouï du capitalisme sur le plan historique réside dans le fait que la religion n'est plus réforme de l'être mais sa dévastation. " (Walter Benjamin - 1921) 

 "De la même façon que l'industrie, destinée à libérer les hommes du travail par les machines, n'a fait jusqu'à présent que les aliéner au travail des machines, la science, destinée à les libérer historiquement et rationnellement de la nature, n'a fait que les aliéner à une société irrationnelle et anti-historique. 

Mercenaire de la pensée séparée, la science travaille pour la survie, et ne peut donc concevoir la vie que comme une formule mécanique ou morale. En effet, elle ne conçoit pas l'homme comme sujet, ni la pensée humaine comme action, et c'est pour cela qu'elle ignore l'histoire comme activité voulue, et fait des hommes des "patients" dans ses hôpitaux. 


Fondée sur le mensonge essentiel de sa fonction, la science ne peut que se mentir à elle-même. Et ses mercenaires prétentieux ont conservé, de leurs ancêtres prêtres, le goût et la nécessité du mystère. Partie dynamique dans la justification des États, le corps scientifique garde jalousement ses lois corporatives et les secrets du "Machina ex Deo" qui en font une secte méprisable.


(...) L'impossibilité actuelle de la recherche et de l'application scientifique sans des moyens énormes, a mis dans les mains du pouvoir la connaissance, concentrée spectaculairement, et l'a dirigée vers les objectifs d’État. Il n'y a aujourd'hui plus de science qui ne soit au service de l'économie, du militaire et de l'idéologie. Et la Science de l'idéologie nous montre son autre côté, l'idéologie de la Science."
(Internationale Situationniste N° 12 - 9/1969) 

"Ne jamais conclure de paix avec la loi qui impose sa règle à la pensée et au sentiment." (Hegel)

  "Comme toujours dans l’histoire, dans ce cas aussi il se trouve des hommes et des organisations qui poursuivent leurs objectifs licites ou illicites et cherchent par tous les moyens à les réaliser et il est important que celui qui veut comprendre ce qui arrive les connaisse et en tienne compte. Parler, pour cela, d’un complot n’ajoute rien à la réalité des faits. Mais définir complotistes ceux qui cherchent à connaître les événements historiques pour ce qu’ils sont est simplement infâme." (Agamben)

" Les hommes qui sont parqués dans le périmètre de ce pays ont perdu le coup d’œil qui seul permet de discerner les contours de la personne humaine. Tout homme libre semble à leurs yeux un original." (Walter Benjamin)


Constitution du 24 juin 1793 – Extraits de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

Article 9. - La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l'oppression de ceux qui gouvernent.
Article 11. - Tout acte exercé contre un homme hors des cas et sans les formes que la loi détermine, est arbitraire et tyrannique ; celui contre lequel on voudrait l'exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force.
Article 12. - Ceux qui solliciteraient, expédieraient, signeraient, exécuteraient ou feraient exécuter des actes arbitraires, seraient coupables, et doivent être punis.
Article 21. - Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler.
Article 31. - Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais être impunis. Nul n'a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens.
Article 33. - La résistance à l'oppression est la conséquence des autres Droits de l'homme.
Article 35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.