Le goût de la vérité
Si l'on recherchait ce qui caractérise le plus la personnalité d'Orwell,
c'est très probablement son goût marqué pour la vérité ou tout au moins
pour la recherche du vrai. Ainsi, il fait partie des rares auteurs
"engagés" qui furent capables de se remettre en cause, de reconnaître
ses erreurs d'analyse et de chercher en lui-même ce qui put l'amener à
se tromper à un moment donné. Et à le dire publiquement. On aimerait
retrouver plus couramment cette démarche particulière mais, force est de
constater, qu'elle demeure tout à fait minoritaire et que l'on y prête
finalement peu d'attention. Chacun constatera donc que ces cohortes
d'experts (très "scientifiques") de tous bords et de toutes catégories,
qui encombrent aujourd'hui les médias, peuvent affirmer à peu près tout
et son contraire d'une période à une autre, souvent proche, sans que
cela ne semble leur causer la moindre gêne.
Il faut dire aussi qu'un grand nombre ne se trompent pas, ils mentent
tout simplement et grossièrement; marquant ainsi le profond mépris
qu'ils ont du public qu'ils considèrent, a priori, comme parfaitement
idiot.
Notons pour l'occasion présente (en plein cœur de
l'actuelle pandémie) l'extraordinaire renversement de prescription où,
en trois semaines, nous sommes passés du masque parfaitement inutile au
masque que l'on envisage de rendre obligatoire. On ne savait pas
disent-ils, eux qui prétendent monopoliser la parole comme étant "ceux
qui savent".
Il faut lire et relire Orwell, ne serait-ce que pour cette qualité
devenue si rare qui le caractérise; et ces "Essais, articles, lettres",
parues en quatre gros volumes il y a déjà quelques années, méritent
toute votre attention malgré le décalage d'époque.
"Le remplacement d’une orthodoxie par une autre n’est pas nécessairement un progrès. Le
véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone, et cela
reste vrai que l’on soit d’accord ou non avec le disque qui passe à un
certain moment."
""Il est inutile, je pense, de vous énumérer les divers aspects du capitalisme qui rendent la démocratie impraticable."
"L'idée que le Parlement n'a plus guère d'importance est à présent très
répandue. Les électeurs sont conscients de n'exercer aucun contrôle sur
les députés; les députés sont conscients de ne jouer qu'un rôle très
subalterne."
"Un écrivain est inévitablement amené à écrire (et cela vaut, avec des
réserves plus ou moins importantes, pour tous les arts) sur les
événements contemporains, et il sera spontanément porté à dire ce qu'il
croit être la vérité. Mais aucun gouvernement, aucun grand organisme
n'est disposé à le payer pour dire la vérité."
"La plupart des ouvrages de propagande contemporains ne sont que pure
falsification : des faits sont dissimulés, des dates modifiées, des
citations isolées de leur contexte et truquées de façon à en altérer le
sens. Les événements dont on souhaiterait qu'ils n'aient pas eu lieu
sont occultés et finalement niés.
Le principal objectif de la propagande est naturellement de façonner
l'opinion du moment, mais ceux qui réécrivent l'histoire sont sans doute
eux-mêmes persuadés, dans un recoin de leur esprit, qu'ils modifient
effectivement le passé en y introduisant des faits à leur convenance."
"Sans doute est-il possible d'établir la vérité, mais la plupart des
journaux présentent les faits de façon si malhonnête que l'on peut
pardonner au lecteur moyen de se laisser berner ou de ne pas parvenir à
se former une opinion. Cette incertitude générale quant à la réalité des
faits favorise le désir de se cramponner à des convictions
irrationnelles. Rien n'étant jamais ni avéré ni démenti de façon
indiscutable, on peut tout aussi bien nier avec impudence le fait le
plus évident."
Merci pour ces extraits d'Orwell.
RépondreSupprimerEn passant : étonnante, cette obstination d'un Frédéric Schiffter à tomber régulièrement sur le râble d'Orwell sur son blog, et ça sans avoir l'air d'y toucher.
Comme si FS s'agaçait de l'honnêteté foncière d'Orwell, enviait son courage intellectuel et physique, un courage qui l'a amené à prendre une balle dans la gorge dans les tranchées du POUM, là où FS n'a visiblement jamais risqué grand chose.
Mais je me trompe peut être.
Bien à vous.
Bonjour Promeneur,
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu Frédéric Schiffter et je ne peux donc rien dire à son sujet mais oui, la personnalité de George Orwell continue à "déranger" beaucoup de monde. Orwell n'est jamais rentré dans le "spectacle" et ce simple fait explique en grande part son lien particulier à la véracité et son honnêteté. Bien peu parmi nos contemporains, de ceux qui ont voulu "prendre place", peuvent en dire autant, forcés qu'ils ont été de se prêter à des compromissions diverses qu'ils préfèrent occulter. Debord disait, non sans raisons, qu'il était probablement l'un des derniers a avoir pu "bénéficier" d'une sorte de célébrité tout en se posant en ennemi déclaré du spectacle.
Et Annie Le Brun (dans "Ce qui n'a pas de prix") fait ce constat : "En attendant, reste la désertion. Longtemps, je me suis demandé si le régime de servitude aujourd'hui en passe d'induire tout lien social était vécu consciemment ou non. Difficile de décider. Mais l'important est plutôt de savoir qui s'y soumet ou non. Innombrables sont les chemins de traverse pour y échapper, quand on veut bien prendre le risque de ne pas se tenir du côté des vainqueurs. Mieux, de s'en tenir au plus loin." Voilà sans doute ce qui explique en grande part certaines réactions de ceux qui n'ont pas voulu s'en tenir trop loin.
Bien à vous.
C'est tout à fait ça, cher Steka. Vous avez parfaitement résumé la chose.
RépondreSupprimerBon week-end.