Rédigé entre 1930 et 1933, juste avant la prise de pouvoir des nazis,
cet ouvrage de référence a naturellement pris quelques rides du fait des
modifications notables que la domination a apporté à son mode de
fonctionnement et tout particulièrement dans le contrôle de ce que l’on
appelle l’opinion. Ce que Goebbels, ministre de la propagande du régime
nazi rêvait, la société spectaculaire-marchande l’a réalisé beaucoup
plus efficacement.
Il faut donc se rappeler que Wilhelm Reich, en tant que penseur critique
de cette époque particulièrement troublée, fut parmi les premiers à
tenter de faire usage des découvertes de la psychanalyse freudienne
conjointement à la pensée émancipatrice de Marx. Ce qui le désigna
automatiquement comme cible privilégiée de toutes les tendances
totalitaires et réactionnaires de son temps. Tendances qui, hier comme
aujourd'hui, ne veulent pas admettre cette synthèse, profondément
novatrice, orientant les recherches « sur la manière dont l'homme d'une
certaine époque est, pense, agit en fonction de sa structure
caractérielle, sur la manière dont les contradictions de son existence
se répercutent en lui, sur la manière dont il tente de maîtriser sa vie.
»
Contestant des approches purement psychologisantes ou purement
économiques, Reich tente une approche globale d’un phénomène complexe
qui reste toujours aussi angoissant en notre époque : pourquoi les «
masses » font-elles ainsi le choix du pire ? « La question n'a pas été
posée de savoir comment des masses paupérisées ont pu passer au
nationalisme. Des mots comme "chauvinisme" "psychose", "conséquences du
traité de Versailles" n'expliquent pas la tendance du petit bourgeois
ruiné à épouser le radicalisme de droite, puisqu'ils ne cernent pas
réellement le processus en question. »
« La critique n'a de sens et de portée pratique que si elle peut montrer
à quel point précis on est passé à coté des contradictions de la
réalité sociale. »
Reich dénonce également le verbiage issu de l’héritage marxiste dévoyé :
« Des méthodes vivantes se sont figées en formules, des recherches
scientifiques en schémas creux. »
Pour cela, il cherche à revenir aux fondamentaux d’une pensée qui se
veut réellement dialectique, démontrant que les contradictions d’une
époque, ses mensonges et dissimulations diverses, ont une relation
directe avec la formation de la psyché des individus qui la composent et
donc avec leur aliénation : « S'il est vrai qu'une "idéologie agit en
retour sur le processus économique", elle a dû se transformer auparavant
en une puissance matérielle.
(...) Comme les hommes faisant partie des différentes couches ne sont
pas seulement les objets de ces influences mais les reproduisent aussi
comme individus actifs, leur pensée et leur action doivent être aussi
contradictoires que la société d'où elles émanent. Comme une idéologie
sociale modifie la structure psychique des hommes, elle ne s'est pas
seulement reproduite dans ces hommes, mais -- ce qui est plus important
-- elle a pris dans la forme de l'homme concrètement modifié et agissant
d'une manière modifiée et contradictoire le caractère d'une force
active, d'une puissance matérielle. C'est ainsi et seulement ainsi que
s'explique l'effet en retour de l'idéologie d'une société sur la base
économique dont elle est issue. »
Pour bien saisir la portée des analyses de Reich, on les replacera donc
dans leur contexte, à savoir les aboutissements de la République de
Weimar, régime issu des conséquences en Allemagne de la guerre 14-18 et
massacreur de la tentative révolutionnaire de 1918 en ce pays. Mais
aussi l’échec de la Révolution russe avec la prise de pouvoir des
bolchéviks et la mise en place d’un régime totalitaire, d’un capitalisme
d’État, fort éloigné des aspirations historiques de Marx. Et la
mainmise de ce régime, dans les années 20, sur tous les partis
dits-communistes européens dont les directions furent transformées en
simples relais du régime stalinien. On comprendra mieux alors toute la
portée des « contradictions » dont parle Reich.
L'on dispose bien alors d'une clé de compréhension de ce qui, pour
beaucoup, reste un phénomène historique incompréhensible. Analyse qui a
le grand mérite d'être applicable aussi bien pour le nazisme que pour
son pendant stalinien. Le plus grand reproche que l'on puisse formuler à
l'encontre de la pensée critique de Reich, c'est qu'elle ait trouvé si peu de
continuateurs conséquents. Et que, de ce fait, la relation entre
l'inconscient humain et le champ politico-social reste tristement
inexplorée.
Sauf à un niveau primaire (pour la propagande et la publicité) par ceux
qui sont les représentants de la domination et qui n'ont donc aucun
intérêt à l'émancipation du genre humain.
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