jeudi 26 mai 2022

Éloge de la désertion

 

 

"En attendant, reste la désertion. Longtemps, je me suis demandé si le régime de servitude aujourd'hui en passe d'induire tout lien social était vécu consciemment ou non. Difficile de décider. Mais l'important est plutôt de savoir qui s'y soumet ou non. Innombrables sont les chemins de traverse pour y échapper, quand on veut bien prendre le risque de ne pas se tenir du côté des vainqueurs. Mieux, de s'en tenir au plus loin." 

                                                                            (Annie Le Brun)

 

Un constat : Nous vivons dans un monde que, pour bien des raisons, nous ne pouvons reconnaître comme le nôtre. 

Nous y sommes, d’une certaine manière, comme des étrangers. 

Nous y sommes nés, y habitons, en affrontons tous les jours les réalités pratiques et pourtant nous ne pouvons réellement y prendre place.

Nous ne le pouvons pas parce que la forme de société qui y règne, celle qu’y impose l’idéologie capitaliste, avec son injustice institutionnalisée, ses hiérarchies obscènes, ses inégalités et ses séparations entretenues, ses guerres permanentes et ses visions à court terme déterminées par les logiques du profit financier, nous est parfaitement contraire, ennemi.

Mais quel est ce Nous : ni plus ni moins que la très grande majorité des Terriens, de ceux qui peuplent cette planète. Nous sommes ceux dont l’on n’écoute pas la parole ; ou alors juste pour faire mine mais, en finalité, il n’en sera tenu aucun compte.

Comment est-ce possible, comment une aussi affligeante situation peut-elle ainsi se perpétuer, siècle après siècle et dans tous les pays, en s’aggravant même.

Non pas seulement par la tromperie des dominants mais aussi par les tromperies que nous nous imposons à nous-mêmes. Comment nous nous trompons sur ce qu’il faudrait faire, sur la manière dont nous pourrions sortir de cette misère. Par exemple, comment dans ce jeu de dupes où en croyant nous « élever », nous sommes amenés à nous renier en notre humanité et à mépriser nos semblables.

Depuis toujours la domination règne par la division des dominés, en entretenant et en alimentant les multiples séparations artificielles qui les maintiennent dans l’impuissance.

Déserter ce monde, leur monde, ce n’est pas renoncer à agir : c’est au contraire commencer à prendre place dans le monde Commun auquel nous aspirons, en ouvrir les perspectives.

À la place de la division, reconnaissons la diversité des êtres et des cultures. À la place de la séparation - entretenue par le numérique, devenue arme de destruction massive du dialogue - réinstaurons partout ce dialogue et la rencontre de l’autre, du différent.

Comme nous ne pouvons actuellement affronter directement ceux qui tiennent les manettes de ce monde stupide, où prédominent l’égoïsme et la mesquinerie, puisqu’ils détiennent la force des armes et la puissance économique, alors abandonnons les massivement.

Désertons leur monde. Ne leur apportons plus nos forces et nos talents. Laissons-les seuls avec leur médiocrité et leur « élitisme » illusoire.

Prendre la marge, ce n’est pas plonger dans l’isolement et la solitude. C’est au contraire faire ce pas de coté qui nous permettra de rejoindre tous ceux qui ne veulent plus de de ce monde là. Tous ceux qui ne veulent plus vivre comme des zombies « connectés » et obéissants à la machinerie capitaliste.

Cessons d’avoir peur. Nous verrons alors qu’un autre monde, plein de couleurs nouvelles, est bien possible, loin des mots creux des politiciens.

 

                                                                                                                                      Steka

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