mardi 6 janvier 2015

"La société du spectacle" de Guy Debord

             
Lire « La société du spectacle » n'est pas chose aisée.
Non pas que ce livre soit particulièrement difficile en lui-même, mais parce que cette difficulté tient à la nature même de son objet.


En effet, dévoilant la structure centrale de l'aliénation dans laquelle baigne la plus grande part de l'humanité depuis quelques décennies, il se heurte au fait que celle-ci a fini par croire que cela était son milieu naturel et que l'on n'avait d'autre choix que de s'y adapter.

« Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation. »

Saisir cette misère qui est la notre, dès que nous cédons à la pression dominante, c'est aussi comprendre son origine qui se trouve essentiellement dans la prise de pouvoir de la logique marchande sur toute réalité humaine. Il y a déjà 150 ans que Marx distingua dans le processus de fétichisation de la marchandise les prémices de sa prise d'autonomie et la marginalisation d'une histoire et d'une réalité humaine, devenues accessoires.

Le spectacle, pour chaque être humain, est donc avant tout cet effort pitoyable, ce reniement permanent, par lequel il essaye de devenir marchandise pour complaire à un monde qui désormais ne reconnaît plus rien d'autre.
 
(« Chaque marchandise déterminée lutte pour elle-même, ne peut reconnaître les autres, prétend s'imposer partout comme si elle était la seule. ")

Du point de vue de la domination, le spectacle n’est rien d’autre que l'instrument qui permet de contraindre à cette misère grâce à l’Économie politique devenant "idéologie matérialisée".

C'est donc en fonction de ce que chacun a pu et su construire comme autonomie de pensée qu'il jugera de l'importance de l'effort nécessaire pour lire et comprendre ce livre ou tout aussi bien, le jugera comme nul et non avenu.
Il n'est donc guère surprenant, aussi, qu'au stade actuel de l'aliénation sociale décrite en cet ouvrage majeur et plus de 45 ans après sa parution, beaucoup ne puissent littéralement plus comprendre de quoi il parle
puisque, comme le notait déjà La Boétie, "Toutes choses deviennent naturelles à l’homme lorsqu’il s’y habitue. La première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude."

En 1969, Debord fit parvenir à la section italienne de l’Internationale Situationniste, à l'occasion de la parution de l'édition italienne de ce livre, des éléments pour une "brève note introductive au Spectacle" qu'il ne semble donc pas superflu de reproduire ici :

" Le premier chapitre expose le concept de spectacle.

Le deuxième définit le spectacle comme un moment dans le développement du monde de la marchandise.

Le troisième décrit les apparences et contradictions socio-politiques de la société spectaculaire.

Le quatrième, qui tient la place principale dans le livre, reprend le mouvement historique précédent (toujours en allant plus de l'abstrait vers le concret), comme histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire. C'est un résumé sur l'échec de la révolution prolétarienne, et sur son retour. Il débouche sur la question de l'organisation révolutionnaire.

Le cinquième chapitre, " Temps et histoire", traite du temps historique ( et du temps de la conscience historique ) comme milieu et comme but de la révolution prolétarienne.

Le sixième décrit "le temps spectaculaire" de la société actuelle en tant que "fausse conscience du temps", une production d' "un présent étranger" perpétuellement recomposé, comme aliénation spatiale dans une société historique qui refuse l'histoire.

Le septième chapitre critique l'organisation précise de l'espace social, l'urbanisme et l'aménagement du territoire.

Le huitième rattache à la perspective révolutionnaire historique la dissolution de la culture comme monde séparé, et lie à la critique du langage une explication du langage même de ce livre.

Le neuvième, "L'idéologie matérialisée", considère toute la société spectaculaire comme une formation psychopathologique, le summum de la perte de réalité, laquelle ne peut être reconquise que par la praxis révolutionnaire, la pratique de la vérité dans une société sans classes organisée en Conseils, "où le dialogue s'est armé pour faire vaincre ses propres conditions".

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La première édition de "La société du spectacle" est parue le 14 novembre 1967 aux Editions Buchet/Chastel
Le livre a été réédité par les Éditions Champ Libre le 29 septembre 1971
puis en 1992 par les Éditions Gallimard et 1996 par Folio 
 






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