Il faut éviter avant tout de fixer de nouveau la "société" comme abstraction vis-à-vis de l'individu. » (Marx)
« Sur
tous les sujets, en fait, l’expertise est en faillite. Et elle
l’est parce que, privée de toute assise historico-critique, il ne
lui reste pour expertiser que sa morale et sa subjectivité.
Convoquée par le pouvoir et ses succursales de légitimation – les
médias de préfecture –, la voilà donc qui défend, plus souvent
qu’elle ne critique, une République supposément malmenée par l’
« islamo-gauchisme», le « séparatisme » ou la « non-mixité ».
Et l’expertise se plie d’autant plus aisément à l’exercice
que, en sus des subsides non négligeables qu’elle en tire, on
n’exige d’elle que d’être médiocrement d’extrême centre,
c’est-à-dire d’un néant conceptuel qui n’a d’extrême que
sa bêtise et de centriste que le rôle pivot qu’elle joue dans la
montée en puissance des thématiques de l’autoritarisme
républicain en toutes matières. Sur le modèle de l’expertise
économique, radicalement néo-libérale depuis des lustres – les
noms viennent immédiatement en bouche en y laissant un sale goût –,
l’expertise générale à prétention sociologique se révèle si
incapable, elle, d’expliquer le moindre phénomène social éruptif
qu’on n’en retient que sa fonction légitimante des pouvoirs et
ses commentaires stéréotypés. Car, formé en série, l’esprit
n’a pas plus d’esprit que de corps. Comme son discours, il est
d’extrême centre, soit de nulle part, d’un lieu vide d’histoire
que l’histoire en marche n’aura aucun mal à combler.
(...)
En clair, si l’on peut dire, tout tient de la même compote dans ce
monde approximatif où l’expertise demeure l’une des pièces
maîtresses de l’organisation du spectacle. » (F.
Gomez)
« Si l'on reprend la formule des carences de l'"offre programmatique", force est de constater que dans le système de délégation permanente de pouvoir du capitalisme contemporain, le choix se trouve de plus en plus réduit à des nuances morales ou conceptuelles d'un même projet politique de nature néolibérale. L'insécurité, et la peur qui lui est indissociable, sont devenues le pivot du programme commun de toute politique. Le sentiment d'insécurité sociale engendré et aggravé par la crise - l'appauvrissement des classes exploitées, l'implosion des anciennes communautés de classe, l'intensification des conditions d'exploitation, la disparition des repères sociaux - est progressivement amalgamé à l'insécurité d'un état de guerre généralisée, au bénéfice d'un "État d'exception démocratique". Dans la réponse autoritaire à la crise de la représentation, la confiance dans les représentants auxquels on délègue le pouvoir est remplacée par la confiance dans les capacités répressives du pouvoir. » (Charles Reeve)
« Ainsi les formes classiques de la représentation sont-elles la mise en œuvre méthodique, sans cesse plus évidente aujourd'hui, de l'absence effective du représenté. » (Baschet)
« L’esprit
de l’entreprise, sans autre médiation, prolonge ainsi ses ravages
avec ses nouvelles formes de subjectivation sociale dont ce que
certains ont appelé « l’entreprise de soi ». Et tant pis pour
ceux qui ne peuvent, ou ne veulent pas, acquérir une existence «
sociale » à partir de l’injonction à s’inscrire dans des «
projets de vie » intégralement soumis aux instances supérieures de
l’économie. Le « droit à la négligence », qui existait
pourtant déjà si bien dans le cadre des institutions de l’État
social, aura débordé largement celles-ci porté par le fanatisme
religieux de l’État du capitalisme. L’indifférence, le mépris,
l’humiliation se sont depuis érigés en principes de gouvernement.
Il ne s’agit plus « de faire vivre », comme nous l’avait appris
la généalogie du biopouvoir, ou de laisser mourir. Mais d’ignorer.
(...)
Et c’est ainsi qu’il est aujourd’hui possible
d’ignorer les noyés dans les flots qui entourent la forteresse
européenne, les existences harassées dans les bidonvilles à Paris,
les morts solitaires dans des EHPAD lors d’une vague épidémique. »
(Josep Rafannel i Orra)
« On aurait tort de penser qu'une telle déroute marque le point final de la spectaculaire régression qui caractérise la vie politique des pays dominants du monde mondialisé. Elle ne constitue en réalité qu'une première étape, si consternante soit-elle, d'une forme nouvelle de soumission au pouvoir plus grande encore qui se prépare. Et si cette étape est en tout point effrayante, c'est parce qu'elle outrepasse déjà notre propre imaginaire de la déroute, toute anticipation, même la plus alarmiste, de la déchéance contemporaine du politique. » (Jean-Paul Curnier)
Merci, à nouveaux, pour ces passages toujours éclairants sur ce monde qui ne va (vraiment) plus.
RépondreSupprimerVous citez Jean-Paul Curnier qui fut mon professeur. Un homme dont le talent pédagogique et l'intelligence m'accompagnent encore après toutes ces années.
https://lepromeneur111.blogspot.com/2015/09/les-mots-disparaissent-avant-que-leur.html
Bien à vous.
Bonsoir à vous Promeneur,
RépondreSupprimerJean-Paul Curnier est pour moi une découverte assez récente mais marquante, en effet. Les éditions lignes ont publié en 2018 une sorte de recueil en sa mémoire "Rêves, révoltes et voluptés : Jean-Paul Curnier", ceci au cas où vous n'en auriez pas connaissance.
Bien cordialement.
Merci pour cette information que je ne connaissais pas.
SupprimerBien à vous