vendredi 1 décembre 2023

LA DIALECTIQUE DU CONCRET de Karel Kosik - Extraits choisis 1

 

« En opposition au monde du pseudo-concret, le monde de la réalité concrétise la vérité, celle-ci n'étant ni donnée ni déterminée à l'avance comme une copie achevée et invariable, qui se trouverait dans la conscience humaine. C'est au contraire un monde où la vérité devient. »


« La dialectique vise la « chose elle-même ». Mais celle-ci ne se manifeste pas directement à l’homme . Pour la saisir, il lui faut accomplir un effort et même un détour. C’est pourquoi la pensée dialectique distingue entre représentation et concept de la chose, et n’y voit pas seulement deux formes ou degré de la connaissance, mais encore et surtout deux qualités de la praxis humaine. »


« Il existe une différence fondamentale entre ceux qui considèrent la réalité comme totalité concrète, c'est à dire comme un ensemble structuré en évolution et en création, et ceux qui affirment que la connaissance humaine, peut atteindre, ou non, la totalité des aspects et des faits, c'est à dire l'ensemble des propriétés, choses, rapports et procès de la réalité. Dans ce dernier cas, la réalité est conçue en tant que somme de tous les faits. Comme la connaissance humaine ne peut jamais en principe embrasser tous les faits, ne serait-ce que parce qu'on peut toujours leur ajouter des faits et aspects nouveaux, on qualifie de mystique la thèse de la concréité ou de la totalité. En fait, totalité ne signifie aucunement somme de tous les faits. Elle signifie réalité comme ensemble structuré et dialectique dans lequel - ou à partir duquel - des faits quels qu'ils soient (groupe ou ensemble de faits) peuvent être compris rationnellement. Rassembler tous les faits n'est pas encore connaître la réalité, et tous les faits (réunis) ne constituent pas encore la totalité.
Les faits permettent une compréhension de la réalité, s'ils sont conçus comme faits d'une totalité dialectique, comme des parties structurant la totalité, et non comme des atomes immuables, indivisibles et irréductibles. »


« Le principe méthodologique de l'analyse dialectique de la réalité sociale est le point de vue de la totalité concrète. Cela signifie avant tout que chaque phénomène peut-être saisi comme élément d'un tout. Un phénomène sociale est un fait historique dans la mesure où il est examiné comme élément d'un tout déterminé, de sorte qu'il remplit une double tâche grâce à quoi seulement il devient vraiment un fait historique : d'une part se définir soi-même ; d'autre part, définir l'ensemble, en étant à la fois producteur et produit, à la fois déterminant et déterminé, à la fois révélateur et déchiffrement de lui-même, en apportant sa signification propre en même temps que celle d'autre chose.
Cette liaison réciproque et cette médiation de la partie et de la totalité signifient en même temps : les faits isolés sont des abstractions dissociées artificiellement de la totalité; ils n'acquièrent vérité et concréité qu'en étant insérés dans leur véritable ensemble. De même, l'ensemble dont les éléments composants ne sont pas différenciés ni déterminés ne serait qu'abstraction creuse. »


« Au fur et à mesure de sa progression, la connaissance dialectique de la réalité fait évoluer les concepts, car elle n'est pas systématisation de concepts qui procède par sommation et repose sur une base immuable et découverte une fois pour toute. (...). La compréhension dialectique de la réalité n'implique pas seulement que les parties et l'ensemble se trouvent en un rapport d’interaction et de connexion interne, mais encore que l'on ne peut pétrifier la réalité en une abstraction planant au-dessus des parties, car ce n'est que par l’interaction des parties que s'élabore la totalité. »

 

« Dans l’histoire de la pensée philosophique, on relève trois conceptions fondamentales de l’ensemble ou totalité, fondées sur une vision déterminée de la réalité et postulant un principe épistémologique propre :

1. La conception atomistique et rationaliste, de Descartes à Wittgenstein, qui considère la totalité comme somme des éléments et des faits les plus simples ;

2. La conception organiciste et organico-dynamique, qui formalise la totalité et souligne la priorité de la totalité sur les parties (Schelling, Spann) ;

3. La conception dialectique (Héraclite, Hegel, Marx) qui considère la réalité comme totalité structurée en développement et en création. (p.35)


La réalité sociale n’est pas considéré comme totalité concrète si, au sein de cette totalité, l’homme est perçu uniquement ou essentiellement comme objet, et qu’en conséquence on ne reconnaît pas, dans la praxis historico-objective de l’humanité, l’importance fondamentale de l’homme comme sujet.

La concréité ou la totalité de la réalité ne pose pas en premier la question de savoir si les faits sont entiers ou imparfaits, mais plus fondamentalement : Qu’est-ce que la réalité ? En ce qui concerne la réalité sociale, on peut répondre à cette question par une autre : Comment s’élabore la réalité sociale ? Poser ces questions sur ce qu’est la chose et sur la manière dont se crée la réalité, c’est partir d’une conception révolutionnaire de la société et de l’homme.(p.36)


La mystification et la fausse conscience des hommes par rapport aux événements du présent ou du passé font partie intégrante de l’histoire. C’est altérer l’histoire que de considérer la fausse conscience comme un phénomène secondaire ou contingent, voire de l’éliminer comme mensonge ou erreur sans rapport avec l’histoire. (p.38)


Si le quotidien est le « vernis » phénoménal de la réalité, on ne peut le dépasser en sautant d’un bond du quotidien à l’authentique, mais en abolissant dans la pratique la fétichisation du quotidien et de l’histoire, c’est à dire en détruisant effectivement la réalité réifiée tant dans son apparence que dans son essence réelle.

Nous avons montré que, si l’on sépare radicalement le quotidien du changement et de l’histoire, on en vient d‘une part à mystifier l’histoire, limitée à celle des grands de ce monde, d’autre part à vider le quotidien de tout contenu, à banaliser et à sanctifier la vie de tous les jours. Le quotidien séparé de l’histoire est vidé de son contenu et réduit à une immutabilité absurde, tandis que l’histoire détachée du quotidien se transforme en un colosse absurdement impuissant, qui fait irruption comme une catastrophe dans le quotidien sans réussir cependant à le changer, à en éliminer la banalité et à lui procurer un contenu. (p.56)

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