samedi 9 décembre 2023

LA DIALECTIQUE DU CONCRET de Karel Kosik - Extraits choisis 2

 

L’homme n’est pas réduit à une abstraction par la théorie, mais par la réalité elle-même. L’économie est un système et un déterminisme de rapports qui transforment sans cesse l’individu en « homme économique ». Dès que l’homme pénètre dans le règne économique, il se transforme. Dès qu’il noue des rapports économiques, il est impliqué – indépendamment de sa volonté et de sa conscience – dans un ensemble de connexions et de lois déterminées, où il accomplit ses fonctions d’homo oeconomicus. L’économie est en conséquence une sphère, dont la tendance est de changer l’homme en un être économique, car elle l’attire dans un mécanisme objectif, qui se soumet l’homme et se l’assimile.

L’homo oeconomicus n’est une fiction que si il est conçu comme une réalité existant indépendamment de l’ordre capitaliste. Comme élément du système, l’homo oeconomicus est une réalité. L’homme n’est pas défini en soi, mais en fonction du système. 


Dès lors que la réification du monde des choses et des rapports humains est la réalité, et que la science s’en préoccupe afin d’en découvrir les lois internes , la science elle-même tombe dans l’illusion et la réification, parce que, dans ce monde objectal, elle ne voit pas seulement un aspect déterminé et une étape historiquement transitoire de la réalité humaine mais la réalité humaine naturelle. 

Elle formule les lois immanentes de ce monde réifié comme étant celles du monde authentiquement humain, parce qu’elle ne connaît pas d’autre monde humain en dehors de cet univers humain aliéné. 


L’homme vit toujours au sein d’un système : en tant que partie intégrante de celui-ci, il est réduit à certains de ses aspects (fonctions) ou apparences (unilatérales ou réifiées). Mais, en même temps, l’homme est toujours au-dessus du système et – en tant qu’homme – il ne peut être réduit au système. L’existence de l’homme concret s’étend jusqu’à la sphère qui se trouve entre l’irréductibilité au système, ou sa possibilité de le surmonter, et son insertion de fait, ou sa fonction pratique, dans le système (des conditions et rapports historique). 


Chez Descartes, la raison est celle de l’individu isolé et émancipé, qui ne trouve la certitude du monde et de lui-même que dans sa conscience. Non seulement la science des temps modernes, de la raison raison rationaliste, est ancrée dans cette raison, mais celle-ci imprègne encore toute la réalité des temps modernes avec sa rationalisation et son irrationalisme. Les conséquences et la réalisation de la « raison autonome » démontrent qu’elle n’est pas indépendante, mais soumise à ses propres produits, qui, dans leur ensemble, sont déraisonnables et irrationnels. Il se produit ainsi un renversement qui fait perdre à la raison autonome son indépendance aussi bien que sa rationalité, de sorte qu’elle se manifeste comme quelque chose de dépendant et d’irrationnel, tandis que ses produits se présentent comme le centre de la raison et de l’autonomie. La raison n’a alors plus son siège dans l’homme individuel, mais hors de l’individu et de la raison individuelle.

L’irrationalité est devenu la raison de la société capitaliste moderne. 


La séparation des sciences de la nature de celles de la société, l’autonomie des méthodes fondées sur l’explication ou la compréhension, ainsi que la tendance périodique à donner un caractère naturaliste ou physicaliste aux phénomènes humains et sociaux ou à spiritualiser les phénomènes naturels, montrent à l’évidence la scission de la réalité : la domination de la raison rationaliste entraîne une pétrification de cette coupure. La réalité humaine se divise, pratiquement et théoriquement, en la sphère de la « raison », c’est à dire en un monde de la rationalisation, des moyens, de la technique, de l’efficacité, et en un domaine des valeurs et significations humaines, qui, paradoxalement, deviennent le champ de l’irrationnel. C’est dans cette division que se réalise de manière spécifique l’unité du monde capitaliste. 


La raison dialectique est un procès universel et nécessaire de la connaissance et de l’élaboration du réel ; elle ne laisse rien en dehors de sa sphère, du fait qu’elle est aussi bien la raison de la science et de la pensée que celle de la liberté et de la réalité humaines. La déraison de la raison, cette limitation historique de la pensée, provient de ce que le rationalisme n’admet pas que la négativité est son propre produit. La rationalité de la raison exige donc qu’elle reconnaisse la négativité comme le produit de la raison elle-même, celle-ci se sachant négativité en développement historique continu et son activité étant de poser et résoudre en toute conscience les contradictions.


Dans la mémoire humaine, le passé devient présent, le temporel étant surmonté. En effet, le passé n’est pas pour l’homme quelque chose d’inutile qu’il laisse derrière lui, mais quelque chose qui entre dans son présent de manière constitutive, comme nature humaine qui se crée et s’élabore.

Les étapes historiques du développement de l’humanité ne sont pas des formes creuses et dépourvues de vie, parce que l’humanité a atteint des formes de développement plus hautes, mais elles s’intègrent continuellement dans le présent grâce à l’activité (praxis) créatrice de l’humanité. Ce procès d’intégration est aussi critique et valorisation nouvelle du passé.


Le Capital a provoqué dès le début une grave confusion dans les rangs des interprètes, une chose seule étant claire : il ne s’agit pas d’un ouvrage économique au sens courant du terme, l’économie y étant conçue d’un point de vue particulier et en liaison étroite avec la sociologie, l’histoire et la philosophie. À en juger par l’histoire de ses interprétations, la problématique du rapport entre science (économie) et philosophie (dialectique) est primordial dans Le Capital. Le rapport entre économie et philosophie n’est pas simplement un thème qui caractérise certains aspects de l’ouvrage de Marx puisqu’il ouvre accès à l’essence et à la spécificité du Capital.


Si tout concept, quel qu’il soit, renferme toujours l’élément de la relativité, c’est qu’il est à la fois une étape historique de la connaissance humaine et un moment de son perfectionnement.


STRUCTURE DU CAPITAL

De la forme élémentaire de la richesse capitaliste et de l’analyse de ses éléments, l’analyse passe au mouvement réel de la marchandise et décrit le capitalisme comme un système créé par le mouvement d’un « sujet automatique » (valeur). Le système apparaît ainsi comme un ensemble qui se reproduit sans cesse à une échelle élargie, de l’exploitation du travail d’autrui, c’est à dire comme mécanisme de domination du travail mort sur le travail vivant, de la chose sur l’homme, du produit sur le producteur, du sujet mystifié sur le sujet réel, de l’objet sur le sujet. Le capitalisme est un système de la réification ou de l’aliénation totale, système dynamique, qui se gonfle cycliquement et se reproduit au milieu de catastrophes, les hommes y apparaissant sous le masque caractéristique de fonctionnaires ou d’agents de cette machine, c’est à dire comme ses parties ou éléments constitutifs.

La marchandise, qui se manifeste d’abord comme une chose extérieure et banale, exerce dans l’économie capitaliste la fonction de sujet mystifié et mystifiant, dont le mouvement réel crée le système capitaliste. Que le sujet réel de ce mouvement social soit la valeur ou la marchandise ; il n’en reste pas moins que les trois volumes théoriques du Capital retracent l’« odyssée » de ce sujet, c’est à dire décrivent la structure du monde capitaliste et la manière dont il est créé par son mouvement réel. 

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