lundi 10 février 2014

De la modernité de Jonathan Swift

Jonathan Swift      (1667-1745)

De Jonathan Swift, on connait principalement ses Voyages de Gulliver qui auront été lus, le plus souvent, dans les versions soigneusement expurgées mises à la disposition des enfants.
La véritable dimension de ce personnage hors du commun est donc le plus souvent ignorée, puisque l’essentiel de son œuvre n’est disponible en français que dans l'édition (couteuse) de la Bibliothèque de la Pléiade. Car Swift ne fut pas seulement un maitre de l’humour noir et un fabuleux ironiste.
On découvrira également à travers ses Œuvres, un historien doué d’une perspicacité et d’un talent d’analyse qui rappelle souvent celui d’un Machiavel ou d’un Retz, par exemple dans son remarquable ouvrage « Du règne de la reine Anne ». Mais aussi un redoutable polémiste qui sut prendre de forts grands risques dans ses dénonciations de la corruption et du cynisme qui régnaient dans les sphères de pouvoir de l’Angleterre de son époque (Voir La conduite des alliés, La bataille des livres, Les contes du Tonneau.)
                                                    
 En ce sens, Swift fit pleinement partie des « Lumières » et certainement dans sa branche la plus radicale, par sa dénonciation de l’injustice sociale : « Le riche profite du travail du pauvre et il y a mille pauvres pour un riche. La masse de notre peuple est forcée de vivre dans la misère, travaillant tous les jours pour un maigre salaire, et permettant à quelques-uns de regorger de tout. » (Voyage chez les Houyhnhnms)
Ou encore : « Je sus combien d'innocents, combien d'hommes de bien avaient été condamnés à la mort ou à l'exil, parce que des gens haut placés s'employaient à corrompre les juges, et à faire jouer les haines de partis; je sus aussi combien de gredins avaient obtenu les postes les plus élevés dans la confiance des princes, ainsi que le pouvoir, les dignités, les profits et je vis quelle part immense de tout ce qui se fait et se décide dans les cours, conseils et assemblées revient aux grues et aux cocottes, aux entremetteurs, parasites et bouffons. » (Voyage à Glubbdubdrib)


On sera parfois fort surpris par la modernité de sa critique, dont       l’actualité n’échappera à personne : « Je me rappelle personnellement
que lorsque je parlais à M. Buys des nombreux millions que nous devions, il aimait à répondre sentencieusement qu'il était avantageux pour un État d'avoir des dettes. Cette opinion peut se justifier dans une République assez absurde pour que ses chefs cherchent à s'assurer de la fidélité de leurs sujets en prenant sur eux des gages financiers et en les persuadant qu'ils seraient ruinés par toute révolution, d'où qu'elle vienne. » (Du règne de la reine Anne)
Ainsi que : « Rien n'est plus efficace, pour briser les tempéraments même les plus combatifs, qu'une série ininterrompue d’opprobres. Un affront se fait plus impunément quand il en vient un deuxième et puis un troisième. » (La conduite des alliées)

On le vit également ardent défenseur de l’Irlande sous l’oppression anglaise : « En Angleterre - un pays où il a été à la mode pendant quelque temps de penser qu'on ne pourra jamais nous traiter avec assez de dureté. » (Lettres du drapier) ainsi qu’avec le terrible « Modeste proposition ».
Bien que son talent et sa verve lui aient ouvert quelque temps les portes de la cour à Londres, son esprit critique indomptable n’y fut pas longtemps toléré et son retour forcé en Irlande dès 1714 se prolongera jusqu’à sa mort.
Il fut également l’ami fidèle du poète Alexander Pope, du médecin, mathématicien et écrivain John Arbuthnot et de John Gay, l’auteur du « Beggar's Opera », au sein du fameux « Scriblerus Club ».
On ne pourra donc qu’approuver cette flamboyante déclaration que l’on trouve dans ses « Voyages de Gulliver » : « Ce n'est pas une mince satisfaction pour moi que de présenter un ouvrage absolument au-dessus de toute critique. »


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