« Internationale situationniste, publiant le compte rendu provisoire
d’un dépassement est une revue telle qu’après avoir lu le plus récent
numéro, on trouve comment il fallait commencer à lire le premier. »
(N°7, page 17)
Et en effet, si un terme devait résumer l’action de l’I.S sur cette
période particulière, cela serait certainement celui de Dépassement.
En juillet 1957, se réunirent à Cosio d’Arroscia en Italie quelques
individus issus de l’avant-garde artistique de différents pays d’Europe.
S’y trouvaient ainsi des membres de l’Internationale Lettriste (Revue
Potlacht), du Bauhaus Imaginiste (ex-Cobra) et du Comité
psychogéographique de Londres. Réunion fondatrice de l’Internationale
Situationniste.
En Juin 1958, parut le N°1 d’Internationale Situationniste, Bulletin central des sections de l’I.S.
Paris, Munich, Bruxelles, Turin, Milan, Copenhague, Amsterdam furent
ainsi, dès cette première année des lieux de l’activité situationniste,
avec la publication en différentes langues de manifestes, tracts et
diverses interventions sur le terrain.
Les titres sont en eux-mêmes largement parlant :
-Nouveau théâtre d’opération dans la culture
-Rapport sur la construction des situations
Ou encore dans ce premier numéro : Amère victoire du surréalisme, Avec
et contre le cinéma. Problèmes préliminaires à la construction des
situations, Formulaire pour un urbanisme nouveau.
Avec également quelques définitions comme par exemple, pour « Situation
construite » : Moment de la vie, concrètement et délibérément construit
par l’organisation collective d’une ambiance unitaire et d’un jeu
d’événements.
Le ton est donné ; les situationnistes n’ont pas l’intention de dormir leur époque.
Décembre 1958, N°2 avec Théorie de la dérive
En 1959, alors qu’est tourné le film « Sur le passage de quelques
personnes à travers une assez courte unité de temps » est fondé à
Amsterdam le Bureau d’urbanisme unitaire.
Décembre 1959, N°3 avec Le sens du dépérissement de l’art, « l’aspect
progressif de cette destruction, dans la poésie, l’écriture romanesque
ou tous les arts plastiques, c’est d’être en même temps le témoignage de
toute une époque sur l’insuffisance de l’expression artistique,
pseudo-communication. (…) Le fond du problème est que depuis 1930, il
n’y a plus eu ni mouvement révolutionnaire, ni avant-garde artistique
pour répondre aux possibilités de l’époque. »
Aussi sont publiés à Paris en Juillet 1960 les « Préliminaires pour une
définition de l’unité du programme révolutionnaire » alors qu’en Juin
est paru le N°4 avec des textes comme « La fin de l’économie et la
réalisation de l’art » et un manifeste , « Le rôle de situationniste,
d’amateur-professionnel, d’anti-spécialiste est encore une
spécialisation jusqu’au moment (…) où tout le monde deviendra « artiste
», en un sens que les artistes n’ont pas atteint : la construction de
leur propre vie. » En Septembre, début du tournage de « Critique de la
séparation ».
Décembre 1960, parution du N°5 avec dans les Notes éditoriales : «
Quiconque a un peu vu le milieu social qui est défini par la propriété
spécialisée des choses culturelles, sait bien que tout le monde y
méprise à peu près tout le monde, et que chacun y ennuie tous les
autres. (…) A quoi tient donc leur résignation ? Evidemment au fait
qu’ils ne peuvent être porteurs d’un projet commun. Chacun reconnait
alors dans les autres sa propre insignifiance et son conditionnement :
précisément, la démission qu’il a dû souscrire lui-même pour participer à
ce milieu séparé, et à ses fins réglées. » Aussi un important texte
d’Asger Jorn intitulé « La création ouverte et ses ennemis ».
En Septembre 1960, quatrième conférence de l’I.S. à Londres : « Le
manque de rencontres est exprimable en un chiffre concret, qui pourrait
caractériser l’état historique du monde (…) Notre activité, découlant de
cette analyse, doit critiquer pratiquement les motifs pour lesquels il
n’y a pas de rencontres. »
Août 1961. N°6, avec - Instructions pour une prise d’armes : « Les
groupes qui cherchent à créer une organisation révolutionnaire d’un type
nouveau rencontrent leur plus grande difficulté dans la tâche d’établir
de nouveaux rapports humains à l’intérieur d’une telle organisation.
(…) La participation et la créativité des gens dépendent d’un projet
collectif qui concerne explicitement tous les aspects du vécu. C’est
aussi le seul chemin pour « colérer le peuple » en faisant apparaître le
terrible contraste entre des constructions possibles de la vie et sa
misère présente. »
- Critique de l’urbanisme : « Les enquêtes sociologiques, dont le plus
rédhibitoire défaut est de ne présenter des options qu’entre les
misérables variantes de l’existant … »
Cette remarque : « Les habitudes qui se ramènent toutes à l’habitude de
ne plus rien attendre de la vie. » et la présentation d’un Programme
élémentaire du bureau d’urbanisme unitaire.
- Perspectives de modifications conscientes dans la vie quotidienne, «
L’histoire, c’est-à-dire la transformation du réel, n’est pas
actuellement utilisable dans la vie quotidienne parce que l’homme de la
vie quotidienne est le produit d’une histoire sur laquelle il n’a pas de
contrôle. »
« Il faut donc croire que la censure que les gens exercent sur la
question de leur propre vie quotidienne s’explique par la conscience de
son insoutenable misère. »
En ce même mois d’Aout, Cinquième conférence de l’I.S. à Göteborg : « Il
ne s’agit pas d’élaborer le spectacle du refus mais bien de refuser le
spectacle. (…) Notre position est celle de combattants entre deux mondes
: l’un que nous ne reconnaissons pas, l’autre qui n’existe pas encore. »
Avril 1962. N°7, Les mauvais jours finiront « L’économie des besoins est
falsifié en termes d’habitude. L’habitude est le processus naturel par
lequel le désir (accompli, réalisé) se dégrade en besoin, ce qui veut
dire aussi : se confirme, s’objective et se fait reconnaître
universellement en tant que besoin. Mais l’économie actuelle est en
prise directe sur la fabrication des habitudes, et manipule des gens
sans désirs, en les expulsant de leur désir. »
-Communication prioritaire : « La théorie de l’information ignore
d’emblée le principal pouvoir du langage, qui est de se combattre et de
se dépasser, à son niveau poétique. » « La communication n’existe jamais
ailleurs que dans l’action commune. »
« La communication va maintenant contenir sa propre critique. »
-Banalités de base, première partie: « Il faut comprendre la fonction de
l’aliénation comme condition de survie dans ce contexte social. »
(Raoul Vaneigem)
Janvier 1963. N°8, « Nous sommes restés au stade de la préhistoire avec suréquipement. »
« Nous sommes entrés dans un accroissement de moyens matériels qui
n’aura pas de fin, mais qui reste placé au service d’intérêts
fondamentalement statiques, et par là même des valeurs dont la mort
ancienne est de notoriété publique. »
« On assiste dans notre époque à une redistribution des cartes de la
lutte de classes ; certainement pas à sa disparition, ni à sa
continuation exacte dans le schéma ancien. »
« L’intelligentsia révolutionnaire ne pourra réaliser son projet qu’en
se supprimant ; le « parti de l’intelligence » ne peut effectivement
exister qu’en tant que parti qui se dépasse lui-même, dont la victoire
est en même temps sa perte. » (sa disparition en tant qu’élément séparé
du tout.)
« Ceux qui sont façonnés entièrement par l’ennui de la vie et de la
pensée dominante ne peuvent qu’applaudir aux loisirs de l’ennui. »
« L’I.S. est encore loin d’avoir créé des situations, mais elle a déjà
créé des situationnistes, ce qui est beaucoup. Cette puissance de
contestation libérée, outre ses premières applications directes, est
l’exemple qu’une telle libération n’est pas impossible. De sorte que
d’ici peu, on va voir le travail. »
-All the king’s men : remarquable texte sur le langage et son emploi.
-Banalités de base, seconde partie.
-Technique du coup du monde
En cette année 1963, l’I.S. rencontre deux délégués du Zengakuren et
édite en danois, français et anglais la brochure : « Les situationnistes
et les nouvelles formes d’action dans la politique et dans l’art. »
Juillet 1964 : « Espana en el corazon », texte sur de nouveaux tracts subversifs expérimentés en Espagne.
Août 1964. N°9, - Maintenant l’I.S. : « Tout comme le prolétariat, nous
ne pouvons pas prétendre à être inexploitables dans les conditions
données. Ceci doit seulement se faire aux risques et périls des
exploiteurs. »
-Le questionnaire : texte ayant pour but à travers quelques questions
déterminées de faire quelques constats et d’apporter quelques réponses
concernant les situationnistes et leur action à ce moment précis de leur
histoire.
-Correspondance avec un cybernéticien : « Petite tête, Il était bien
inutile de nous écrire. On avait déjà constaté, comme tout le monde, que
l’ambition qui t’incite à sortir de ton usage fonctionnel immédiat est
toujours malheureuse, puisque la capacité de penser sur quoi que ce
soit d’autre n’entre pas dans ta programmation. »
1965 verra entre autres, la publication de l’ « Adresse aux
révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays. » caractérisant le
putsch de Boumedienne ainsi que « La lutte des classes en Algérie » ,
tract diffusé dans les principales villes algériennes et que l’on
retrouve dans le n°10
Mars 1966. N°10, - « Le déclin et la chute de l’économie
spectaculaire-marchande », texte de soutien aux émeutiers de Watts (Los
Angeles)
-Perspectives pour une génération : « L’économie politique, en tant qu’ «
achèvement logique du reniement de l’homme », poursuit son œuvre
dévastatrice. Partout des politiques et des théories économiques
spectaculairement divergentes s’opposent, nulle part les impératifs
absurdes de l’économie politique elle-même ne sont contestés. » « L’Etat
laisse se développer la pseudo-liberté de l’individu, tout en
maintenant la cohérence de l’ensemble et tire de cet antagonisme une
force infinie, qui se trouve être normalement son talon d’Achille dès
lors qu’une nouvelle cohérence, radicalement antagoniste à un tel ordre
des choses, s’établit et se renforce. »
-De l’aliénation. Examen de plusieurs aspects concrets.
« Ce que tolèrent, fondamentalement, les gens tolérants qui ont la parole, c’est le pouvoir établi partout. »
1966 verra également la parution en Novembre du « De la misère en milieu
étudiant » à Strasbourg, texte qui se répandra dans quasiment toutes
les universités françaises au cours de l’année1967.
Plusieurs textes situationnistes sont également publiés au Japon par les Zengakuren.
En Août 1967 est publié « Le point d’explosion de l’idéologie en Chine
», mettant clairement en lumière la nature bureaucratique et totalitaire
du régime chinois alors que les plus effarantes illusions prédominaient
en France sur la « Révolution culturelle », texte repris en ouverture
du n°11 .
Octobre 1967. N°11, - Deux guerres locales : Analyse de la guerre
israélo-arabe et de la guerre du Vietnam pour « dévoiler la vérité des
conflits actuels, en les rattachant à leur histoire, et démasquer les
buts inavoués des forces officiellement en lutte. »
- Avoir pour but la vérité pratique (Raoul Vaneigem) « Des capacités,
nous ne voulons rien savoir hors de l’usage révolutionnaire qui s’en
peut faire, usage qui prend son sens dans la vie quotidienne. »
-La séparation achevée (Guy Debord)
-La pratique de la théorie
La société du spectacle de Debord parait en Novembre, Le traité de savoir-vivre de Vaneigem en Décembre.
Nombreuses publications de textes situationnistes à Londres et New York en cette fin d’année 1967.
On trouvera le résumé de l’engagement direct et de la participation
majeure des situationnistes en Mai 1968 dans le livre de Viénet "Enragés et Situationnistes dans le mouvement des occupations"
- Avis aux civilisés relativement à l’autogestion généralisée (Vaneigem)
Septembre 1969. N°12, - Le commencement d’une époque, texte présentant
une analyse globale de Mai 1968 : « La plus grande grève générale qui
ait jamais arrêté l’économie d’un pays industriel avancé et la première
grève générale sauvage de l’histoire » mais aussi « les faiblesses et
les manques du mouvement »
Nous avons donc ici, avec cet ouvrage, la plus parfaite illustration
des possibilités d’un agir historique par un petit groupe d’individus,
muent par l’exigence et la conscience de la nécessité du dépassement.
(70 personnes en tout ont été situationnistes, dispersées sur cette
période de douze ans et dispersées aussi en plusieurs groupes
nationaux). Et cela, dans ces conditions particulières, où cette
exigence de dépassement historique (de révolution) va de pair avec
l’exigence de dépassement individuel, dans un même mouvement.
Certains discerneront peut-être ici une certaine valeur d’exemple.
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